Nous avons demandé à Christophe Pirenne, professeur à l’ULg et l’UCL, auteur de Une histoire musicale du rock (éditions Fayard, 2011), de jeter une oreille à l’album de Nicolas Godin. Verdict: « Je n’ai jamais été un grand fan de Air, donc je ne suis pas davantage renversé par ce que j’ai entendu. Mais l’initiative est au moins sympathique, comme on dit. Même si la source est très marquée, il a su garder sa patte personnelle. Le disque a beau rester pour moi anecdotique, il est assez classieux. Après, aller puiser dans le répertoire classique est très courant dans la pop. Un bouquin comme Rocking the Classics répertorie tous les emprunts: il fait plus de 500 pages… »

Pourquoi les artistes pop piochent-ils autant dans le classique?

Pendant longtemps, la démarche s’apparentait à une recherche de légitimité. C’était particulièrement frappant à la fin des années 60, avec le rock progressif, et des groupes comme Emerson, Lake & Palmer, qui en ont fait leur fonds de commerce. C’était très explicite dans les interviews de l’époque: il s’agissait d’affirmer que le rock était la nouvelle »musique classique », que ses musiciens pouvaient lire des partitions, en écrire, et montrer autant de virtuosité. A la fin des années 70, le punk a balayé tout ça. De 1976 à 1986, le moindre groupe qui se permettait le plus petit emprunt au classique se faisait complètement démonter, et accuser de « vendu ». Mais tout cela n’a été qu’une parenthèse. Par la suite, des artistes comme Björk ont à nouveau montré qu’on pouvait utiliser des éléments ou des instruments classiques dans un format « pop »: la critique branchée n’a pas osé broncher (sourire).

Les motivations restent-elles identiques aujourd’hui?

Il y a moins ce désir de validation via le répertoire classique. Le rock ou la pop n’ont plus besoin de ça. Pas plus que les musiques électroniques d’ailleurs, ou même le hip hop, dont les textes sont étudiés à l’université. En fait, tous les genres, et les décennies, dansent désormais ensemble. C’est le grand mélange. Il reste évidemment des détracteurs. Mais en général, tout est moins segmenté. Il est très difficile par exemple de pointer une tendance dominante dans les musiques populaires. Par ailleurs, il faut également constater que la musique n’a plus le même pouvoir « révolutionnaire », ou identitaire. Avec la multiplication des loisirs (les jeux vidéo, etc.), elle est devenue un divertissement parmi d’autres. Elle ne véhicule plus les mêmes enjeux.

Certains compositeurs ont-ils plus la « cote » que d’autres?

Bach reste l’un des plus « réutilisés », y compris dans le classique même d’ailleurs. Cela peut s’expliquer d’un point du vue musicologique: c’est vrai que le baroque se « glisse » plus facilement dans le rock. Notamment parce qu’il fonctionne sur une basse continue, avec une tonalité très affirmée, sur laquelle il est plus facile de venir se greffer. C’est moins aisé avec la musique romantique, par exemple, qui part sur des évolutions harmoniques plus compliquées.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT HOEBRECHTS

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