Disiz la peste abandonne le rap et se fait aujourd’hui rockeur. Avec un album, Dans le ventre du crocodile, premier test largement réussi.

La vie est trop courte que pour n’en vivre qu’une seule. C’est ce qu’a dû se dire Sérigne M’Baye Gueye, né du côté d’Amiens en 1978. Rappeur, il s’est fait connaître sous le nom de Disiz la peste. Devenu aujourd’hui rockeur, il se fait appeler Peter Punk. Trois visages, un même personnage.

Le rappeur, on l’a découvert au début des années 2000, notamment grâce au classique J’pète les plombs. En 4 albums, Disiz creusera le filon hip hop en jouant régulièrement du décalage. Déjà un pied dedans un pied dehors. Jusqu’à arriver petit à petit au point de non-retour. L’an dernier, il sortait ainsi un ultime Disiz The End, lettre d’adieu au rap. Embrouilles, rivalités puériles, culs-de-sac artistiques,… Dégoûté de la tournure qu’avaient prise les choses, Disiz quittait le terrain de jeu. Quand on le rencontre, la colère n’est toujours pas rentrée. « Oui, je suis encore énervé, parce que j’aime cette musique. J’aime les gens qui l’écoutent, la vivent, la font. Mais on s’est fait voler le truc. Par notre faute. Il y a un truc très fort derrière le rap. C’est une musique concrète, une musique contemporaine par excellence, qui évolue avec son temps. On sort par exemple d’une ère Bush ultracapitaliste, ultraviolente. Dans le rap, cela correspondait à 50 Cent. Aujourd’hui, on est passé à autre chose. Jay-Z par exemple a changé son discours. Au départ, le rap est donc une musique qui plonge ses mains dans le réel. Mais en France, pas du tout. C’est un ersatz. On essaie juste de faire pareil que les Etats-Unis. On n’a pas compris le truc… « 

Enfant du rock

Il y a une autre explication au changement de cap de Disiz. Métis, le jeune homme a toujours navigué entre plusieurs cultures musicales. Aujourd’hui passé la trentaine, il était peut-être temps de réconcilier ses différentes passions. « En effet, c’est comme si j’avais réconcilié tous les pôles. Au collège, vous aviez d’un côté les petits Blancs qui écoutaient Guns ‘n Roses, et de l’autre, les Noirs, les Arabes, et quelques Blancs qui étaient fans de Public Enemy ou NTM. Ce qui était mon cas. Mais quand je partais en vacances chez ma cousine, j’écoutais les Beatles, Cabrel. Et j’aimais. J’écoutais ça presque en cachette, le soir en rentrant chez moi. J’ai un peu le même rapport au foot. Je ne suis pas supporter d’une équipe. J’aime le ballon. »

Voici donc Dans le ventre du crocodile, premier album de Disiz Peter Punk. Une échappée belle, loin des gimmicks musicaux rap, pas forcément de son esprit. Un disque qui fait dans le rock, mais sans forcément faire hurler les guitares de manière un peu cliché. « A chaque fois qu’on m’a parlé d’associer rap et rock, on m’a sorti les 3 mêmes exemples. D’abord, le Walk This Way d’Aerosmith et Run DMC. Mais je n’aime pas ce morceau, parce qu’ils se mélangent pas. Les Beastie Boys ont fait des choses plus rock que ce titre-là. Ensuite, il y a la fusion à la Rage Against The Machine. Pareil: à l’époque, je n’aimais pas. Parce que c’était un rappeur qui, pour moi, ne savait pas rapper. Il n’avait pas le flow. C’est par après, en l’écoutant avec une oreille rock, que j’ai pu apprécier l’énergie et la folie de ce groupe. Enfin, il y a ce qu’a essayé de faire Lil Wayne dernièrement. Mais il ne fait qu’empiler des clichés du rock, ça ne me parle pas. »

Dans Dans le ventre du crocodile, on trouve évidemment des morceaux chargés de gros riffs qui tachent ( Yeah Yeah Yeah, Jolies planètes, Je t’aime mais je te quitte…). La plupart du temps pourtant, Disiz, euh pardon, Peter Punk va chercher plus loin que le bout de son médiator. Après tout, cela ne sert à rien de fuir les clichés d’un genre pour tomber dans ceux d’un autre. Trans-Mauritania en est le parfait exemple. « Cela part de Talking Heads, Foals et Devo. Devo, est-ce que c’est encore du rock? Bowie pareil. Il me fascine. Mais lui non plus, ce n’est pas complètement du rock. Quand il fait Let’s Dance, avec Nile Rodgers, c’est juste un mec qui aime la musique, et joue avec les codes. The Clash, même chose. C’est teinté de reggae, de ska, voire de rap dans la manière de scander les textes. »

La théorie de l’entonnoir

A jouer ce petit jeu-là, le bonhomme ne gagne pas seulement de nouveaux horizons musicaux. Il se découvre aussi de nouvelles choses à dire. Ou en tout cas une manière inédite de les raconter. « Le rapport au sexe, par exemple. C’est un sujet qui m’a toujours inspiré. Mais je ne suis jamais arrivé à en parler dans un rap. Là où, dans le rock ou la poésie, vous avez des métaphores, dans le rap, c’est le règne de la punchline. Ça doit frapper les esprits. Tu vises, tu touches. Or viser et toucher en parlant cul, cela peut rapidement devenir cliché et manquer de subtilité. Je préfère la démarche d’un Gainsbourg. Ou quand Bashung fait Madame rêve. On joue avec d’autres références, d’autres grilles de lecture. »

Tout n’est peut-être pas parfait dans ce Dans le Ventre du crocodile, mais il y a un vrai plaisir à voir Disiz s’autoriser toutes les libertés. Après tout, ils sont rares, ceux qui peuvent se permettre de telles réinventions. Même si pour le rappeur, le grand écart n’est pas aussi important qu’on pourrait le penser. « Quelque part, ce disque est le plus hip hop que j’ai fait de ma vie. C’est vrai! Au départ, Afrika Bambaataa (l’un des fondateurs du hip hop ndlr) , c’est quoi? Il aime bien Kraftwerk, il sample Kraftwerk. Il fait la même chose avec plein de groupes. Il met tout ça dans un entonnoir et ce qui sort est du hip hop. En un sens, j’ai fait pareil… Le fait est qu’on est submergé de musique pasteurisée. Tout est déjà prêt à l’écoute, l’oreille formatée. Vous savez à l’avance ce que vous allez écouter. J’ai voulu faire fi de tout ça. Je voulais prendre tous les codes et les mélanger. Faire ce que je veux, comme je veux. » Mission réussie. l

Disiz Peter Punk, Dans le ventre du crocodile, Naïve/Pias.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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