Cauchemar climatisé

La BD underground US s’est trouvé son nouveau petit génie. Nick Drnaso nous plonge, Avec ce nouvel opus, dans l’enfer de la psyché américaine.

Dans sa première bande dessinée, Beverly, l’auteur né dans l’Illinois en 1989 décrivait avec une certaine froideur la banlieue qui s’emmerdait, faisant se croiser dans une urbanisation pavillonnaire une jeunesse middle class qui traînait son spleen. Avec Sabrina, Drnaso passe à la vitesse supérieure. Les ados ont grandi, certains ont un boulot, d’autres se sont mariés, ont fait des enfants, ont divorcé… C’est le cas de Calvin, informaticien au sein d’une unité stratégique de l’U.S. Air Force. Il accueille Teddy, un copain du lycée perdu de vue, au bord de la folie: cela fait un mois que sa petite copine Sabrina a disparu. Calvin a de la place chez lui, sa femme est partie vivre en Floride avec leur fille, ne supportant visiblement plus les horaires décalés de son mari. Il installe Teddy dans la chambre de sa fille et part au boulot d’où il reviendra après minuit avec pizzas et bières. Teddy passe son temps en calbut’ à se traîner dans les couloirs, au salon, mais la plupart du temps couché par terre. L’apparition d’une cassette vidéo dévoilant l’assassinat de Sabrina ne va pas arranger la santé mentale de Teddy. Elle va empirer quand le film sera diffusé sur les réseaux sociaux et accaparé par les adeptes de la conspiration mondiale.

Cauchemar climatisé

Le malaise incarné

Le résumé peut s’arrêter ici comme il pourrait continuer jusqu’au bout, l’intérêt résidant moins dans les faits relatés que dans la manière dont les personnages se les prennent en pleine gueule. Tout est lisse et glacé dans l’univers de Drnaso; la banlieue sous surveillance du voisinage, les conversations insipides, cette faculté qu’ont les Américains à se fondre dans le moule des conventions et, parallèlement, à affirmer de manière frontale leur différence  » parce qu’on est dans un pays libre« . Ce qu’aime l’auteur, c’est introduire un grain de sable dans cette mécanique bien huilée -en apparence- qu’est l’American dream. Calvin le bon petit soldat, tiraillé entre l’opportunité d’une promotion d’agent secret et la volonté d’être un bon père qui déteste l’idée de se voir résumé à un chèque mensuel. Teddy qui s’enfonce dans la folie, ne s’alimente plus et qui a coupé les ponts avec sa belle-famille. Et enfin la soeur de Sabrina, membre d’un groupe de conversation libre, fâchée à mort par l’attitude de Teddy. Les trois sont confrontés au doute instillé par des inconnus sur la réelle existence de l’affaire…

Le dessin de Drnaso accentue ce sentiment d’irréalité avec une économie de trait rendant les détails inexistants, les expressions faciales dignes d’un paralytique, et l’environnement urbain tracé au cordeau, telles les perspectives de villes nouvelles. Le résultat est percutant! Il faudra dorénavant lui faire une place dans votre bibliothèque entre Chris Ware et Adrian Tomine, autres grands papes du malaise américain.

Sabrina

De Nick Drnaso, Éditions Presque Lune, 206 pages.

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