CATHY MIN JUNG

Femme de lettres, comédienne, metteuse en scène et réalisatrice, la Belgo-Coréenne Cathy Min Jung signe l'écriture d'une deuxième pièce de théâtre. © © CASSANDRE STURBOIS

ELLE AIME PARTIR DU RÉEL POUR ÉCRIRE DE LA FICTION. SING MY LIFE, SA DEUXIÈME PIÈCE, CONFRONTE LES FUMÉES DES USINES MÉTALLURGIQUES ET LES PAILLETTES DES ÉMISSIONS TÉLÉ DÉCOUVREUSES DE NOUVELLES STARS.

Alors, une fois pour toutes, en coréen, on place d’abord le nom de famille et puis le prénom, qui est en général composé. Exemples: Im (nom de famille) Sang-soo (prénom), Bong Joon-ho, Park Chan-wook, Kim Ki-duk, etc. Pour son nom d’artiste, Cathy Min Jung a choisi d’accoler ses deux prénoms: celui que ses parents adoptifs, agriculteurs wallons, lui ont donné quand elle est arrivée en Belgique à l’âge de trois ans et demi et celui qu’elle a reçu de son père biologique lorsqu’elle est née à Séoul. « Je suis toujours inscrite dans son registre familial, explique-t-elle. Min Jung a toujours une existence officielle administrative en Corée. Ca fait sens de m’appeler Cathy Min Jung puisque je suis les deux.  »

Mais Cathy Min Jung n’est pas « que deux », pas que simultanément « d’ici » et « de là-bas »: elle est à la fois passionnée par les sciences et femme de lettres, comédienne sur les planches, à la télé et au cinéma, mais aussi autrice -féminin qu’elle préfère à « auteure », parce qu’il s’entend celui-là-, metteuse en scène et réalisatrice. Et à partir du carrefour où convergent ses pratiques et influences diverses, elle affirme aller toujours dans le même sens pour faire ce qu’elle aime par-dessus tout: raconter des histoires.

Après avoir retracé celle de quatre Coréens adoptés en Belgique -dont elle- revenant dans leur pays natal pour le mariage de l’un d’eux dans le documentaire Un aller simple, cette artiste polymorphe a continué de parler de ce qu’elle connaît le mieux, sa propre vie et ses racines, dans son premier texte pour le théâtre: Les Bonnes Intentions, qui a directement décroché le Prix de la Critique du meilleur auteur en 2012. L’histoire d’une « petite poupée venue d’Asie« , adoptée dans une famille de la Wallonie rurale, qui, à force de mépris et d’abus, finit par massacrer ses parents. Un seul en scène à la fois autobiographique et de pure fiction, qu’elle a porté elle-même et qui lui a valu son rôle le plus mémorable à ce jour. Il faut dire que, selon ses propres mots, elle a « toutes les tares« : « Je suis une femme et je suis d’origine étrangère. Bizarrement, ce n’est que quand j’ai commencé le théâtre que j’ai été confrontée à mon « asiatitude ». Parce que tout à coup, la question de l’image, de l’apparence m’est revenue à la figure. Même si j’ai été engagée assez vite quand j’étais encore au Conservatoire de Bruxelles -j’ai joué au National Dommage qu’elle soit une putain, une pièce élisabéthaine en costumes d’époque mise en scène par Philippe van Kessel-, je me suis quand même vite rendu compte au cours de mon évolution de comédienne qu’il n’y avait pas beaucoup de rôles pour moi. J’en ai eu à la télévision et au cinéma, mais c’était souvent des personnages de prostituées chinoises, ce genre de choses…  »

Réveiller l’indignation

Pour sa deuxième pièce en tant qu’autrice, dans laquelle elle ne jouera pas mais dont elle signe la mise en scène, Cathy Min Jung arrive là où on ne l’attend pas: Sing My Life mêle le combat d’ouvrières confrontées à la fermeture de leur usine et le déroulement d’un télécrochet à la The Voice, avec un ton de comédie anglaise façon Ken Loach. « Je me suis demandé si on allait accepter que j’écrive quelque chose qui n’a rien à voir avec l’Asie ou avec l’adoption. Quand un auteur est d’origine étrangère, on s’attend à ce qu’il écrive sur ses racines. Sing My Life est parti d’une anecdote. Je prenais un café avec une copine qui me confiait qu’elle n’avait pas pu acheter de cadeaux à sa fille pour la Saint-Nicolas. Elle venait de subir un licenciement pour cause de délocalisation. J’ai alors commencé à regarder différemment toutes ces femmes autour de moi, mères de famille, qui bossent, gèrent tout et dont la plupart ne roulent pas sur l’or. Pour moi, ce sont des super-héroïnes.  »

C’était aussi au moment de la fermeture du Delhaize de Schaerbeek dans le cadre d’un plan « de transformation ». Aujourd’hui, Sing My Life résonne tristement avec les annonces de licenciements chez Caterpillar et ING, entre autres. « Ce qui est surtout révoltant, s’exclame-t-elle, ce sont les raisons: juste à cause des actionnaires, juste parce que quelques personnes placées tout en haut veulent gagner encore plus! Je pense qu’il faut réveiller la capacité d’indignation des gens face à l’injustice. Attention: je n’ai pas de vérité absolue, je n’ai pas de jugement, mais j’ai des questionnements et j’ai envie de les susciter chez les autres. »

SING MY LIFE, DU 06 AU 12/11 AU THÉÂTRE DE LIÈGE ET DU 15 AU 18/11 À L’EDEN, CHARLEROI.

RENCONTRE Estelle Spoto

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