INTERPRÈTE CAMÉLÉON OSCARISÉ EN PIANISTE FAMÉLIQUE CHEZ ROMAN POLANSKI, ADRIEN BRODY FAIT PARTIE DE CETTE FAMILLE D’ACTEURS QUI PENSENT ET PRÉPARENT LEURS RÔLES AVEC AUTANT D’INTENSITÉ QU’ILS LES INCARNENT. EXPLICATIONS À L’OCCASION DE LA SORTIE DE DETACHMENT SUR LES ÉCRANS.

Dans Detachment, le nouveau film de Tony Kaye, Adrien Brody incarne Henry Barthes, un professeur remplaçant amené à transiter régulièrement d’un lycée à l’autre tout en prenant soin de garder invariablement ses distances avec l’environnement qu’il investit. Tout le contraire de l’acteur, en somme, qui a le chic d’enchaîner les films en faisant montre d’une implication personnelle quasiment cannibale…

Vous êtes connu pour la préparation particulièrement intense de vos rôles. Qu’en est-il de celle qui a précédé le tournage de Detachment?

C’est intéressant parce que je me sens très différent de ce personnage mais, en même temps, il y a tellement d’aspects chez lui que je comprends… Plus jeune, j’ai moi-même été dans une école publique. Il y avait quelques problèmes, des gosses violents. Un des violeurs de Central Park était un kid de mon école. Si bien qu’il m’est aisé de comprendre à quel point la vie peut être rude pour un jeune type ayant grandi dans un milieu difficile… ( Il marque une pause) Mon père était lui-même professeur dans une école publique. C’est un aspect qui m’a attiré dans ce rôle. C’est un peu comme si je voulais donner quelque chose en retour, parce que mon père était quelqu’un de tellement généreux, tellement disponible. Il était vraiment un grand enseignant et un grand homme au quotidien.

Pensez-vous qu’il soit encore possible aujourd’hui de trouver de bons enseignants?

Oh oui, tout à fait. Mais je pense que c’est rare… Enseigner n’est peut-être pas un rêve comparable à celui de devenir une rock star, mais regardez quel impact profond vous pouvez avoir sur la vie des gens. J’ai moi-même eu quelques bons professeurs, mais s’il y a bien une chose que mon père m’a apprise, c’est l’importance de cultiver l’esprit et l’éducation à la maison, dans la cellule familiale, sans fonder tous ses espoirs dans l’institution scolaire. Est-ce qu’une école publique devrait offrir un environnement sûr à votre enfant? Oui, c’est certain. Devrait-elle lui fournir une formation adaptée au monde d’aujourd’hui et à même de lui permettre de s’y épanouir? Oui, tout à fait. Est-ce qu’elle doit pour autant garantir sa réussite à 100 %? Non, cette attente est irréaliste. Il relève de la responsabilité de votre enfant d’être concentré, et de la vôtre de l’aider à en appréhender toute l’importance.

Votre personnage dit dans le film qu’il est essentiel de pouvoir compter sur l’aide de quelqu’un pour comprendre la complexité du monde dans lequel on vit. Est-ce que ça pourrait être votre définition d’un bon enseignant?

Oui, c’est sans doute une qualité d’un bon professeur, même si cette réflexion n’était pas forcément dirigée vers les enseignants. Il s’agissait plutôt de mettre l’accent sur ce dont on a besoin en tant qu’individus dans ce monde. Et ça peut venir de n’importe où, d’une conversation avec un étranger dans un bar, de votre père, de votre mère, de votre oncle ou bien de votre prof remplaçant.

Et quelles sont les qualités requises pour faire un bon acteur?

Disons que c’est probablement quelque chose d’assez similaire. Vous devez faire montre d’une forme particulièrement poussée de curiosité, couplée à la capacité d’ingérer et de reproduire des émotions que vous percevez chez d’autres personnes que vous-mêmes. Je pense que c’est la marque d’un bon acteur. Ça suppose une certaine intelligence, une certaine empathie aussi surtout. A tel point parfois que… Mon expérience sur The Pianist de Roman Polanski, par exemple, a littéralement changé ma vie. Pas seulement ma carrière, ça a aussi complètement bouleversé mes perspectives, mes certitudes.

De quelle manière, concrètement?

Je ne connaissais pas la faim, par exemple, jusque-là. Et même si c’était volontaire, que c’était requis par le film, le fait de m’affamer de cette façon m’a fait prendre conscience de la manière dont ça peut vous transformer, modifier votre état émotionnel, votre façon de penser, du sentiment de vide, de solitude, d’abandon que vous pouvez ressentir.

Vous avez été très loin dans la préparation de The Pianist. Vous avez suivi un régime strict, perdu quatorze kilos, votre copine est partie… En quoi est-ce nécessaire de s’investir à ce point?

( Il hésite) Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que, quelque part, ça a payé ( sourire). Mais oui c’était nécessaire, parce que le film touchait à quelque chose de tellement fort et personnel pour tant de monde, mon réalisateur compris. J’avais une réelle responsabilité. Ceci dit, en tant qu’acteur vous êtes impliqué au maximum, mais il y a quand même toujours un filet de sécurité: je ne vais pas devenir accro à l’héroïne en jouant un junkie. Mais je dois comprendre la dépendance qu’elle crée, c’est quelque chose que je dois connaître, je ne peux pas imaginer la souffrance et les effets qu’elle occasionne sans cela. Vous ne pouvez pas jouer un amoureux transi sans jamais l’avoir été. Donc vous avez besoin d’expériences, d’échecs, de succès, d’expérimenter humainement les choses. Et après il s’agit de pouvoir faire ressortir tout ça. Il faut à la fois accepter d’être vulnérable et être capable d’exploiter cette même vulnérabilité.

Vous avez l’art de travailler sur des projets complètement différents, qui vous ont vu passer de Roman Polanski à Wes Anderson, de The Village à Predators

Le point commun, c’est qu’ils demandaient tous à leur manière beaucoup d’implication, même si The Pianist a clairement été le plus éreintant… C’était vraiment très particulier. Detachment a exigé un gros travail émotionnel pour parvenir à atteindre cet état à la fois imprévisible et triste qui est celui du personnage, parce qu’il s’agit d’un type profondément malheureux, tragique. A tel point qu’en interagissant avec les gens au moment du tournage, il m’était vraiment difficile de me différencier du rôle que j’étais occupé à jouer. Mais Predators offrait un beau défi également. Je trouvais très intéressant que le type qui a joué The Pianist se retrouve dans les bottes de Schwarzenegger ( rire). Je me suis vraiment donné pour être capable de faire ça. J’ai pris onze kilos de muscles, et j’avais à c£ur de ne pas seulement jouer un gars prêt à tout péter sur sa route mais également de faire ressentir cette sorte d’intelligence militaire dont il peut faire preuve.

Et jouer Dali chez Woody Allen, c’était comment?

Très fun. La vérité, c’est que je n’ai tourné qu’une demi-journée sur Midnight in Paris, et pourtant le public m’a manifesté beaucoup d’amour pour ça ( sourire). C’est ça le paradoxe en fait, vous ne travaillez qu’un seul jour sur un film dont tout le monde vous rabâche les oreilles par la suite, alors que vous pouvez très bien vous démener comme un beau diable dans une forêt pendant des semaines sans que personne ne s’intéresse au résultat… l

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT

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