Carte blanche à témé tan

Ça se passe le matin de mon départ en train pour Marseille. Radio Nova m’avait invité à venir jouer pour leurs Nuits Zébrées. À mon habitude, j’avais prévu de partir quelques jours plus tôt pour rencontrer la ville avant le jour du concert.

22 mars 2016, 10:15, j’arrive à la gare du midi pour prendre mon train. Je ne suis pas en avance et il y a de la tension dans l’air. Les gens sont plus agités que d’habitude. À l’approche du quai des TGV, on nous demande à tous de rebrousser chemin et d’évacuer la gare:

« Il y a eu des attaques terroristes à Zaventem et dans la station Maelbeek! »

Je m’engouffre avec une vieille dame dans un taxi car les transports sont bloqués. Le chauffeur roule vite dans une circulation agitée comme pour s’éloigner d’une explosion imminente. Je me vois dans un film catastrophe. Pas du genre à écouter les infos de grand matin, me voilà rattrapé par l’actualité. Je reviens finalement à ma case départ, ma valise encore intacte. Mes grands frères m’appellent à tour de rôle. Ils pensaient que je prenais l’avion pour me rendre en France. Je les rassure: je n’étais pas à Zaventem…

Le reste de la journée, je reste allongé, rideaux fermés, assommé par la nouvelle.

J’appelle des proches pour voir s’ils sont sains et saufs. C’est la première fois que j’ai à faire ça pour ma petite ville. Ça m’est déjà arrivé d’appeler mes cousins à Kinshasa après des émeutes, ma famille d’accueil à Kyoto après des inondations. Jamais pour Bruxelles. Mes amis français étaient chez moi le soir des attentats du Bataclan. J’avais alors remercié le ciel qu’ils ne se soient pas trouvés à Paris ce soir-là. Le 22 mars 2016, ce sont mes proches des quatre coins du globe qui se sont inquiétés pour nous.

Le lendemain, je refais le même trajet, la peur au ventre je l’avoue. Je me dis qu’elle est finalement bien là cette nouvelle grande guerre, que le quotidien du journal parlé nous a banalisé ces attaques observées de loin.

23 mars, 10:31, Le TGV démarre et je n’ai pu serrer personne dans mes bras. Juste passer ces coups de fil pour me rassurer.

Une fois arrivé à Marseille, mon point de rendez-vous a lieu sur le « Quai des Belges ». Mes contacts marseillais me posent beaucoup de questions. J’ai l’impression d’être à la fois rescapé et déserteur. Ça me fait mal de ne pas pouvoir être dans ma ville. J’aurais aimé retrouver mes amis, partager nos ressentis. On me fait la visite guidée du Vieux Port qui m’apaise un peu. Le jour du concert arrive. Entre-temps, j’ai été rejoint par Maï Ogawa, Esinam Dogbatsé et Pablo Casella, tous Bruxellois de souche ou d’adoption. Je suis heureux de les retrouver et je les serre fort dans mes bras. Soundcheck, attente, interview puis nous montons sur scène. « On est venus depuis Bruxelles pour vous voir! » et là c’est tout le public du Moulin qui se fait entendre. J’ai ressenti quelque chose de fort. Comme une envie de conjurer le sort et de nous aider à oublier ces tristes événements le temps d’une soirée. Cette énergie nous a portés tout le concert et j’espère qu’on aura pu la transmettre à nos proches restés à la maison.

Aujourd’hui, je rentre d’une tournée européenne de trois semaines avec les Milky Chance. Sur les onze pays, c’est à Berlin, récemment frappée en plein coeur, qu’on m’a demandé comment se portait Bruxelles depuis.

J’ai répondu qu’outre les militaires en faction dans les lieux de notre vie quotidienne, la vie avait bel et bien repris et que j’aimais toujours autant la retrouver.

Né à Kinshasa, Tanguy Haesevoets, alias Témé Tan, a passé la plus grande partie de sa vie en Belgique, à Bruxelles. Musicien globe-trotteur, il sortira son premier album à l’automne prochain.

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