Le 22 mars 2016, Bruxelles, la ville de la zwanze et des caricoles, de la Zinneke Parade et de l’Ommegang, des plaisirs d’hiver et des embouteillages en toute saison, rejoignait le macabre inventaire des villes meurtries par le terrorisme de masse. Nous ne sommes pas sortis indemnes de ces heures sombres (en sommes-nous sortis d’ailleurs?) qui ont révélé les dysfonctionnements du feuilleté sociétal, institutionnel et politique de notre pays. Nous sommes hommes de théâtre, le texte ci-après est un extrait d’un spectacle à venir, Bruxelles, printemps noir, à l’affiche du Théâtre des Martyrs en mars 2018.

« Le matin du 22 mars, à l’aéroport de Bruxelles, il se peut qu’une certaine douceur attende les voyageurs au sommet de l’escalier mécanique qui les mène aux comptoirs d’embarquement. En tout cas, une paix de vie quotidienne est percep-tible ce jour-là, un garçon et une fille s’enlacent, une famille se réjouit, tous emportent dans leurs bagages des projets pour le lendemain, alors que dans cette même fraction de seconde, à quelques centaines de mètres de là, des vies sont brutalement sectionnées.

Le matin du 22 mars, à la station de métro Maelbeek, il se peut qu’un enfant ait jeté sa sucette par terre. Que la mère l’ait ramassée. Que d’un coup de langue elle l’ait nettoyée, replacée dans la bouche de l’enfant, qu’elle ait engagé la poussette sur l’escalier mécanique et qu’une fois en haut, cette femme ait déposé de l’argent dans la paume d’un pauvre homme. Et tant mieux si, son geste une fois accompli, elle et sa petite se sont éloignées de la station de métro, tant mieux!

Le matin du 22 mars, l’information monte à la verticale comme une fusée de mort et retombe en pluie d’angoisse sur chaque habitant. A-t-on des nouvelles de celui ou celle qui devait prendre l’avion ce jour-là? Et l’époux? L’épouse? Le père? La mère? L’enfant? Le voisin? L’ami? L’amant n’avaient-ils pas pris la ligne 5 du métro qui passe par la station Maelbeek? Ce jour-là, radios et télévisions annoncent les chiffres noirs, téléphones et textos s’activent, le personnel politique donne des conseils, les policiers et les militaires arpentent les rues. Les attentats pétrifient la ville.

Le matin du 22 mars, une question frappe chacun: que signifient les mots « vivre ensemble »? Mireille reçoit un texto, elle « allume la télé ». Elle appelle son compagnon qui boit son café dans la cuisine « Rachid, viens vite ». Ensemble, Mireille et Rachid regardent les informations. Ils sont choqués. Ils décrètent que la ville n’appartient pas aux terroristes, n’appartient pas à la violence, n’appartient pas à la bêtise, n’appartient pas à la haine, n’appartient pas au racisme, n’appartient pas à l’exclusion, n’appartient pas à la peur, n’appartient pas à la mort. Ils décident de sortir de chez eux. Le matin du 22 mars, en solidarité avec les victimes, Mireille et Rachid marchent dans la rue, calmement, serrés l’un contre l’autre. Leur volonté de marcher ensemble dans la rue dit: nous sommes d’ici et c’est ici que nous voulons vivre. Bruxelles est à nous, Bruxelles appartient à ceux qui veulent la vie. »

Jean-Marie Piemme est un écrivain et dramaturge belge, auteur notamment de Toréadors, Dialogue d’un maître avec son chien sur la nécessité de mordre ses amis et, plus récemment, L’Ami des Belges.

Philippe Sireuil est un metteur en scène belge, cofondateur du Théâtre Varia en 1980 à Bruxelles. Il est depuis cette saison directeur du Théâtre de la Place des Martyrs.

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