Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

O’ black brother – Banjos sautillants, violons euphoriques… Trois jeunes Noirs démontrent que le bluegrass n’est pas l’apanage des vieux cow-boys solitaires.

« Genuine Negro Jig »

Distribué par Nonesuch/Warner.

Ceci n’est pas un groupe. C’est un miroir aux préjugés. Ecoutez Genuine Negro Jig, et vous verrez tout de suite apparaître devant vous les grands espaces, les stetsons qui volent et les square dance dopées au bourbon. Sauf que l’habit ne fait pas toujours le moine, comme le banjo ne fait pas forcément le redneck. Derrière le groupe Carolina Chocolate Drops se cachent en effet 3 jeunes Noirs américains: la fille, Rhiannnon Giddens, et les 2 gars, Dom Flemons et Justin Robinson. Produit par Joe Henry, leur dernier album jongle entre traditionnels country, airs bluegrass et autres morceaux ressortis de la tradition des minstrel shows, ces spectacles de cabaret que donnaient des Blancs maquillés en Noirs. C’est frais, enlevé et, forcément, entraînant. Roots certes, mais pas complètement anachronique non plus: le trio reprend aussi Tom Waits ( Trampled Rose), le tube R’n’B de Blu Cantrell, Hit’Em Up Style, ou s’essaie à la compo perso’ (la murder ballad Kissin’ And Cussin’)

Mauvais timing

Le projet pourrait n’être qu’une curiosité -et il le restera pour pas mal d’oreilles européennes. Il dépasse pourtant la simple anecdote. A la base, les 3 se trouvent sur le Net, via les forums autour du « black banjo ». Avant de passer pour l’instrument country par excellence, le banjo faisait en effet partie intégrante de la tradition musicale afro-américaine, ne serait-ce que par ses racines ouest-africaines. Le trio est ainsi remonté aux sources d’une musique au départ métissée, mais dont l’imaginaire a été aujourd’hui complètement expurgé de l’apport des Noirs. Les string band noirs ont pourtant bien existé. Flemons: « Le fait est qu’ils ont raté le train des musiques enregistrées. » Une question de (mauvais) timing: au moment où l’industrie phonographique se développe, le blues a en effet pris le dessus. La country blanche a pourtant continué à vivre sa vie. Hypothèse de Flemons: « Au cours de son histoire, la commercialisation de la culture noire s’est aussi braquée à un moment sur l’image du Noir qui lutte, qui souffre. Or tous ces string band faisaient une musique très joyeuse, très rythmée, décalée par rapport à la figure du Noir opprimé. «  Robinson poursuit: « Au-delà, peu importe ce que recouvre exactement cette image, il fallait que la musique noire soit très différente de la musique blanche. Or rien ne ressemble plus à un groupe de bluegrass qu’un autre groupe de bluegrass. Qu’il soit noir ou blanc, cela ne s’entend pas. »

En attendant, il n’est pas seulement surprenant de voir cette musique jouée par des Noirs. Il est au moins aussi inattendu de voir une musique traditionnelle prise en main par des personnes aussi jeunes. Giddens: « On est effectivement un des seuls groupes noirs à jouer cette musique. Par contre, aux Etats-Unis, il y a énormément de jeunes groupes qui se sont lancés là-dedans. Nous ne sommes pas une exception, loin de là. Pas mal de gamins viennent par exemple du mouvement punk de la Côte Ouest. «  Flemons continue: « Grâce à Internet, les kids ont accès à plein de choses et ne s’en privent pas. MTV n’a plus le monopole. Du coup, certains découvrent ces musiques roots et les investissent en y injectant leur éthique punk. » Ou quand la modernité redonne du souffle à la tradition…

Laurent Hoebrechts

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