« Laurel et Hardy étaient des stars internationales à une époque où il n’y en avait pas »

John C. Reilly (à gauche dans la peau d'Oliver Hardy): "Autant leur travail a l'air très libre et bien souvent désinvolte, autant tout y est pourtant question d'exactitude." © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Steve Coogan et John C. Reilly campent avec allant et générosité les deux géants comiques, engagés dans une tournée des théâtres anglais qui sera aussi leur chant du cygne. Entretien croisé.

Stan & Ollie, le biopic que consacre Jon S. Baird à Stan Laurel et Oliver Hardy, s’ouvre sur un tour de force, un plan sinueux de six minutes accompagnant les deux compères dans les studios de Hal Roach, l’homme qui pensa à les associer, manière de poser, tout à la fois, l’envers du décor et l’alchimie qui présidait au duo. Pour camper celui-ci, le réalisateur a fait appel à Steve Coogan et John C. Reilly, un choix judicieux tant leur interprétation va au-delà du seul mimétisme et de maniérismes que l’on jurerait inconscients pour renouer le fil d’une complicité plus forte que le temps et les malentendus. Un travail d’orfèvre, prolongé le temps d’un entretien à deux voix qui semblent, par moments, n’en faire plus qu’une seule. « Steve et moi avons commencé à répéter plusieurs semaines avant le tournage, raconte John C. Reilly. Je travaillais sur un autre film, ici à Londres, et nous nous voyions le week-end pour travailler sur la chorégraphie de Way Out West (classique tourné par Laurel et Hardy en 1937, dont Stan & Ollie reproduit lumineusement la danse, NDLR). Avant même d’essayer les maquillages ou les costumes, nous avons travaillé ces pas de danse. Il y a deux manières d’envisager les choses: soit on regarde la montagne, et on se dit « Mince, je vais devoir grimper là-haut ». Soit on se concentre sur le début du sentier. Et pour nous, la danse de Way Out West constituait le début du sentier. Après cette petite victoire, nous avons dû apprendre les chansons, les scènes, chaque réussite renforçant notre confiance dans notre capacité à y arriver. Autant leur travail a l’air très libre et bien souvent désinvolte, autant tout y est pourtant question d’exactitude. Nous devions ainsi compter le rythme mentalement pour que chaque scène fonctionne, c’est une mécanique de précision, sans rien de fortuit. »

Un duo fédérateur

Enfants des sixties, Steve Coogan et John C. Reilly ont grandi avec Laurel et Hardy, dont les films, ces Sons of the Desert, Our Relations ou autre Block-Heads dont l’on ne se lasse pas, ont longtemps squatté les grilles des programmes télévisés. L’un et l’autre s’accordent pour saluer l’impact considérable qu’a pu avoir le duo. « Leurs films étaient festifs et fédéraient les générations, apprécie Coogan. Dans ma famille, nous pouvions nous retrouver mes grands-parents, mes parents et moi à les regarder à la télévision, et chacun en retirait quelque chose. ça valait aussi pour la société: leurs films transcendaient les barrières de classe, les frontières économiques ou internationales. Laurel et Hardy avaient cette faculté de rassembler les gens. » « Ces types étaient des stars internationales à une époque où il n’y en avait guère, en particulier dans le domaine de la comédie, renchérit Reilly. Ils avaient l’habitude, quand ils tournaient leurs films, d’en faire, dans la foulée de l’originale anglaise, des versions espagnole, allemande… Ce n’était pas du doublage, ils recommençaient et apprenaient les dialogues phonétiquement, si bien que dans ces différents pays, le public avait l’impression qu’ils étaient des leurs. »

Le duo, le film de Jon S. Baird ne l’envisage pas à l’époque de sa splendeur hollywoodienne, mais des années plus tard, au coeur des 50’s, lorsqu’il se lance dans une improbable tournée des théâtres anglais, entamée dans une semi-indifférence. Le spectre de l’oubli est là, impitoyable, qui semble devoir les engloutir, s’il n’y avait leur génie comique inoxydable, et leur amitié, pourtant mise à rude épreuve. Un prisme singulier qui fait le charme et la saveur de ce Stan & Ollie dont le simple titre, d’ailleurs, tient lieu de profession de foi, le film s’intéressant plus, en définitive, aux deux hommes et à leur relation qu’à leur légende. On y verra, du reste, la confirmation que la réussite d’un film biographique tient aussi bien souvent à l’angle adopté et, partant, à son point de vue. « Vouloir ramasser une vie entière dans un film vire rapidement à la leçon d’Histoire, observe Steve Coogan à ce propos. Pour avoir une idée de la vie de quelqu’un, il vaut souvent mieux partir d’une anecdote. Voyez par exemple les éloges funèbres que l’on prononce lors des enterrements: pour distiller l’essence d’une personne, on ne raconte pas sa vie entière, mais une petite histoire qui permet d’éclairer ce qu’elle a été. Et généralement, c’est juste, on n’a pas besoin d’en savoir plus, et c’est toujours plus fort. »

L’individu, plus que le partenaire

« Raconter leur histoire avant qu’ils ne deviennent célèbres n’aurait pas été aussi intéressant, c’est leur duo qui fait sens, soupèse John C. Reilly. On pourrait parler d’eux à leur apogée, mais leurs films sont là pour ça. Alors que quand on s’intéresse à cette période particulière de leur existence, on réalise que c’est lors de cette tournée tardive qu’ils sont devenus amis, et qu’ils ont appris à s’apprécier comme individus. Auparavant, Hal Roach les avait réunis arbitrairement, mais ils ne se connaissaient pas. Leur duo n’a pas grandi organiquement, ils ont été parachutés dans leurs rôles et, par miracle, ça a fonctionné. C’était donc la période idéale à embrasser. » Et de poursuivre: « Nous n’aspirions pas à recréer Laurel et Hardy, on peut regarder leurs films pour ça. Quand nous avons commencé à discuter du projet, j’ai d’ailleurs dit: « Tout ce que l’on peut trouver sur Google ou Wikipédia ne devrait pas figurer dans le film, parce que les gens peuvent très bien le dénicher par eux-mêmes, pas besoin d’aller au cinéma pour ça ». Mais quand, avec ces tournées, il leur a fallu prendre chaque train ensemble, partager chaque hôtel, être réunis des coulisses au lever de rideau, ils ont aussi été contraints d’aller voir au-delà du partenaire avec qui il leur fallait continuer, et de se demander: « Mais qui est donc cet individu à mes côtés? »

Une page blanche que le film ne se fait faute de noircir, révélant au passage des facettes inconnues de ces deux personnalités pourtant si familières, tout en s’autorisant une certaine licence artistique -« C’est comme un puzzle dont on aurait certaines pièces, mais pas toutes. Le film permet de compléter le tableau, en une image qui n’a jamais été vue auparavant. L’idée n’était pas de rejouer une histoire connue de tous », précise Steve Coogan. Tant ce dernier que son partenaire confessent d’ailleurs n’avoir pas manqué d’être parfois étonnés par le fruit de leurs recherches. Reilly: « L’une des plus grandes surprises fut de découvrir qu’avant cette tournée, ils n’étaient pas plus proches personnellement alors qu’ils travaillaient ensemble depuis si longtemps. Comment est-il possible que ces deux mecs ne se soient pas mieux connus, alors qu’à les voir, on aurait dit qu’ils étaient mariés depuis 100 ans? » Coogan: « J’ai éprouvé un choc quand j’ai découvert qu’à l’inverse de beaucoup de duos comiques, ils ne s’étaient pas trouvés mutuellement, mais avaient été mis ensemble. Hal Roach leur a littéralement dit: « Tu vas bosser avec ce type« . J’ai eu pas mal de révélations comme celle-là. Le fait par exemple de découvrir que Stan a continué à écrire des sketches pour leur duo même après la mort d’Ollie. ça en dit long sur Stan et sa tournure d’esprit, tant il y a là quelque chose d’à la fois magnifique et tragique… »

3 questions à Jon S. Baird

Réalisateur de Stan & Ollie.

© ARMANDO GALLO / ZUMA PRESS / ISOPIX

Pourquoi vous être concentré sur cette période en particulier?

Je trouve plus pertinent d’observer les gens quand ils sont remis en question. Si nous avions tourné un film sur leur période hollywoodienne, alors qu’ils étaient au sommet de leur gloire, ça n’aurait été ni aussi intéressant ni aussi émouvant. Nous voulions raconter l’histoire d’une amitié, qui se trouve être celle de Laurel et Hardy, et non faire un film sur Laurel et Hardy en tant que paire iconique.

Pourquoi Steve Coogan et John C. Reilly?

Ils étaient nos premiers choix. J’ai toutefois voulu les rencontrer, pour connaître leur rapport à cette histoire. Deux choses m’ont convaincu qu’ils seraient les acteurs appropriés: en plein milieu d’une conversation très sérieuse sur la comédie, Steve a, à brûle-pourpoint, laissé tomber sa serviette, s’est penché pour la ramasser avant de se cogner volontairement la tête contre la table, et de reproduire cette mimique propre à Stan Laurel. D’un seul coup, il avait ses gestes et sa voix, j’en avais des frissons. Quant à John, nous nous sommes rencontrés dans un restaurant, à Los Angeles. Et voilà qu’à un moment, il me dit: « Jouer Oliver Hardy est une perspective tétanisante. Mais laisser quelqu’un d’autre le faire est encore plus effrayant. » La simple idée de laisser quelqu’un d’autre s’en charger le terrifiait. J’ai su, dès lors, qu’ils constituaient le bon choix, parce qu’ils allaient endosser l’énorme responsabilité de recréer ces personnages.

Stan Laurel était envieux de la célébrité de Charlie Chaplin. Ne le serait-il pas encore aujourd’hui, Chaplin ayant acquis une respectabilité qu’ils n’ont pas?

Well. Buster Keaton a prononcé un hommage aux funérailles de Stan Laurel, et il a dit: « Tout le monde pensait que Chaplin et moi étions les génies, mais pas du tout, Stan Laurel en était un ». Pourriez-vous citer un seul comique qui soit passé du muet au parlant avec autant, si pas plus de succès, comme l’ont fait Laurel et Hardy?

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