Au sujet de Luis Buñuel, né avec le XXe siècle en Aragon, pour s’éteindre, 83 ans plus tard, au Mexique, Jean-Claude Carrière, qui fut son scénariste et collaborateur privilégié de Journal d’une femme de chambre, en 1963, à Cet obscur objet du désir, en 1977, écrivait: « J’ai toujours été frappé par les deux images qui enserrent toute son oeuvre, le premier plan qu’il tourna de sa vie, et le dernier. Le premier, c’est une déchirure. Une lame de rasoir tranchait un oeil. La dernière image tournée, à la fin de Cet obscur objet du désir, c’est une main de femme qui recoud, qui reprise une déchirure, dans un morceau de soie sanglante. Il tenait beaucoup à cette image. Il la retourna même, pour l’améliorer, deux semaines après la fin du tournage. Il s’agit bien de la dernière image, comme s’il voulait mystérieusement refermer, 50 ans plus tard, la première et profonde blessure. Entre les deux, le gouffre, le secret. » (1)

Un cinéma authentiquement surréaliste

Si elle est diverse et multiple, s’étant par ailleurs déployée entre France, Espagne et Mexique, l’oeuvre de Buñuel frappe surtout par sa cohérence. Dès son premier court métrage, Un chien andalou, sorti en 1929, et plus encore avec L’âge d’or, tourné dans la foulée sous « patronage » sadien, le cinéaste espagnol en donne la teneur, aventureuse et hautement subversive. Sans être jamais vainement esthétisant, le réalisateur bouscule les canons stylistiques et narratifs en vigueur; ainsi, les associations d’images qui irriguent ses premiers essais sont encore à l’oeuvre dans Le Fantôme de la liberté et ses enchaînements déconcertants, plus de 40 ans plus tard. Et puisqu’Un chien andalou invitait à déchirer les voiles de la perception, rêve et réalité se confondront dans un même élan -voir, encore, Belle de jour, parmi d’autres. La sève provocatrice, elle ne s’épuisera jamais, Buñuel contestant inlassablement l’ordre établi, les valeurs bourgeoises et l’hypocrisie chrétienne, avec une virulence n’excluant certes pas l’humour.

Tendu vers la beauté, en prise sur les fantasmes, érotiques et autres, son cinéma est aussi porté par un salutaire vent de rébellion, et cela dans un film mineur comme El Bruto, mélodrame pourfendant les puissants, comme dans son chef-d’oeuvre, Viridiana, Palme d’Or à Cannes en 1961. Soit un concentré des obsessions bunuéliennes, et une critique ouverte de la religion catholique, de ses dévoiements et du carcan qu’elle impose, parodiant notamment la Cène avant de laisser la prude (et ex-novice) Viridiana à la promesse d’un ménage à trois. Le scandale qui suivra la projection cannoise sera à la mesure de celui qu’avait provoqué L’âge d’or. L’illustration, si besoin en était, que Buñuel n’aura jamais cessé de déranger, au fil d’une oeuvre écrite en toute liberté, lui dont Michel Ciment, le directeur de Positif, pouvait souligner en 1993, dix ans après sa mort, « qu’il avait accompli le projet d’un cinéma authentiquement surréaliste. »

(1) PRÉFACE À DON LOUIS BUÑUEL, DE MARCEL OMS, ED. DU CERF.

J.F. PL.

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