APRÈS AVOIR LONGTEMPS GALÉRÉ, KINSHASA SUCCURSALE BÉNÉFICIE AUJOURD’HUI D’UNE SORTIE MONDIALE. APRÈS LES ETATS-UNIS, BALOJI ÉTAIT AINSI EN TOURNÉE AU BRÉSIL. RÉCIT D’UN PÉRIPLE EN TERRE AURIVERDE, ENTRE RAP, SAMBA ET RUMBA CONGOLAISE. AI SE EU TE PEGO…

À 8000 km de Bruxelles, temps belge sur Brasilia. Alors qu’on rejoint Baloji et son orchestre de la Katuba, la capitale brésilienne est nettoyée par les grandes eaux. La fin de la saison des pluies, qu’il paraît… Il faudrait quand même voir à pas trop se plaindre: le thermomètre affiche encore 25°. Et puis, la pluie donnerait presque un caractère humain à Brasilia et son urbanisme futuriste. Du haut de la tour de la télévision, la vue est éclairante. A gauche, on construit le stade pour la prochaine Coupe du Monde. Devant, le panorama donne sur l’axe monumental, avec au bout, la cathédrale d’Oscar Nimeyer et son dôme en épines, puis l’enfilade des ministères, qui donne sur l’esplanade des pouvoirs. A Brasilia, peu de trottoirs, aucun vélo, et un système de transport en commun erratique. Quasi aucun feu de signalisation, et peu de passages pour piétons: tout a été fait pour la voiture et fluidifier ses trajets. Confirmation de Jean Bourdin, le directeur de l’Alliance française de Brasilia: « Il y a un dicton qui dit que si les Brésiliens ont deux bras et deux jambes, à Brasilia ils ont deux bras et 4 roues. » Avec ses larges avenues rectilignes dédiées à l’auto, son plan rigide découpé en secteurs, Brasilia a toujours du mal à humaniser son utopie des années 60. Mathieu Labeau est prof à l’Université de Brasilia:  » Au début, j’ai voulu aller bosser à pied: ce sont des lignes droites, cela peut donner l’impression que les distances sont courtes. Mais le premier jour, j’ai marché pendant plus d’une heure pour arriver à l’université. Depuis que j’ai une voiture, ça va mieux, je peux commencer à apprécier la ville.  »

C’est Wallonie-Bruxelles International qui l’a envoyé là. Après un premier poste de six ans à Budapest, Mathieu Labeau a inauguré la représentation de WBI à Brasilia il y a six mois.  » Ce sont vraiment les débuts. On est d’autant plus des fourmis que le pays est gigantesque. » La tournée brésilienne de Baloji a été mise sur pied en grande partie par l’Alliance française. Mais sur la date à Brasilia, c’est l’agence WBI qui a mis la main au portefeuille. En tout, ce sont quelque onze concerts que le groupe enchaînera sur deux semaines.

Hotel Brasilia

Pas mal pour un projet qui a dû batailler ferme pour exister. Petit rappel des faits: en 2007, Baloji sortait Hotel Impala, peut-être l’album belge le plus marquant des années 2000. L' » autobiophonie d’une vie« , récit familial remuant, entre Liège et Lubumbashi. Deux ans plus tard, le rappeur a eu l’idée de réenregistrer le disque à Kinshasa, à la mode congolaise. Mais la maison de disques n’a jamais suivi. Pas un problème pour Baloji. Parti seul en RDC, il en reviendra avec Kinshasa Succursale qu’il parviendra à sortir en 2010. D’abord en le distribuant en avant-première dans Focus, puis via le label Crammed qui lui assure aujourd’hui une sortie mondiale.

Quelques jours avant le Brésil, Baloji était d’ailleurs à New York pour un peu de promo et de networking; avant d’enchaîner avec South By Southwest, le festival tentaculaire organisé à Austin, Texas. Là, parmi les milliers de groupes présents, Baloji a su se faire une place sur un plateau essentiellement africain, entre Spoek Matambo et Seun Kuti, le fils de l’autre.  » Un super spot. On aurait dû rester les deux jours. » Même si les conditions pour jouer n’étaient pas forcément évidentes.  » C’était la guerre« , rigole Arnaud, l’ingé son.  » Derrière ma table de mix, on faisait le forcing pour prendre la place. » Devant le retard affiché ce soir-là, les organisateurs ont en effet bien tenté d’abréger les débats.  » Après 20 minutes sur les 40 prévues, on nous a fait signe d’arrêter. Finalement, on a quand même réussi à tirer jusqu’à 30… »

A Brasilia, les gars jouent au Teatro dos bancarios. De l’extérieur, l’endroit ne paie pas de mine. Mais la salle est jolie, avec ses rangées de fauteuils rouges, qui entourent trois des quatre côtés de la scène. Pour public, une assistance complètement hétéroclite entre jeunes alternatifs, quinquas en pantalon de toile, fonctionnaires en cravate, hipsters et personnel d’ambassade. Vers 20 h 20, alors que dehors les trottoirs de Brasilia sont toujours trempés, Baloji et son orchestre de la Katuba lancent le concert avec… L’heure d’été. Reggae soul avant de virer rumba congolaise. Sage pendant les morceaux, le public « brasiliense  » applaudit généreusement après chaque titre. Quand il a le temps… Le band enchaîne en effet les morceaux, sans prendre le temps de souffler. Quand arrive Nazongi, le concert s’emballe définitivement. A la basse, Didier Likeng mitraille méchamment. Baloji, lui, alterne français, tshiluba et lingala. Pas sûr que le public brésilien comprenne. Mais faut-il vraiment beaucoup d’explications quand on voit s’égosiller Baloji, à genoux sur Karibu Ya Bintou, transe électrique sous disto? On en doute, à entendre les applaudissements nourris après l’heure et demie de concert. Cinq minutes plus tard, le public se presse au stand de merchandising pour prendre des photos avec le groupe, rincé mais joyeux.

Vers 23 h, tout le monde quitte la salle pour croquer un bout à une terrasse du quadra 108. Dans le jardin, sorti de nulle part, un cracheur de feu vomit des flammes. La pluie a cessé. Le pavé de Brasilia est maintenant presque sec.

Sambaloji

Quelques heures plus tard, changement radical de décor. Une carte postale en l’occurrence. Le groupe vient d’atterrir à Rio, côté Copacabana. Tout est là: le cagnard tropical, le sable fin, les filles en maillot, les mecs qui jouent au football, les gamins qui sautent dans les roulis de l’océan Atlantique, et le Pain de sucre au loin qui s’avance dans la mer. On entendrait presque la guitare de Tom Jobim… Bien sûr, la légende a pris un petit coup dans l’aile. Copacabana n’est plus la plage la plus tendance de Rio. Mais ce qu’elle a perdu en prestige, elle l’a gagné en cachet. Une patine fifties-sixties dont profitent les rues du quartier.

Reste les favelas, jamais très loin. Wagner est danseur professionnel. Il vit dans une favela et y donne des cours. « La police commence à faire le nettoyage avant la Coupe du Monde. Mais pour l’instant, elle ne vise que les coins les plus rapprochés des quartiers aisés. » Il y a deux mois, il a voulu déménager dans un autre quartier pas mieux famé. Les trafiquants locaux l’en ont dissuadé. « Ils ont dû croire que j’étais un flic venu les surveiller. » Aujourd’hui, il continue de donner des leçons de danse hip hop gratuites dans les quartiers pauvres pour offrir une alternative à la rue et la délinquance. Romantique? « Ça marche! Je peux citer au moins cinq de mes potes qui traficotaient et qui maintenant sont devenus danseurs, certains ayant même déjà pu tourner en France, par exemple. » Ce soir, c’est l’anniversaire de Wagner. Il le fêtera au concert de Baloji, avec qui il a déjà pu bosser lors d’un premier passage il y a un an d’ici.

Rendez-vous à l’espace Sesc, rue Domingo Ferreiras. Particularité du jour: la scène est au centre, comme au milieu d’une arène. Combiné avec un plafond assez bas, l’endroit fait l’effet d’un petit cocon, jauge de 400 places qui sera bien remplie.

Si la configuration est originale, elle est aussi plus compliquée à mettre en place. Pour le son, notamment. En toute fin de balance, Arnaud, l’ingé son, bouillonne:  » Je reprends l’avion direct pour Bruxelles! » Pourtant, quand le concert démarre, la machine Katuba est directement en place. Pas de round d’observation comme la veille. Ici, le public rentre tout de suite dans le jeu. C’est clair, ce soir, ça va le faire. D’ailleurs, Dizzy Mandjeku, alias Papa Dizzy paraît encore plus flegmatique que d’habitude. C’est bon signe: le BB King kinois est en forme… Indépendance Cha Cha qui fait se balancer les filles, puis La Petit Espèce qui se termine en funk jamesbrownien. Baloji est particulièrement survolté, tournant comme un fauve. Sur Congo, il intègre un bout du Ai Se Eu Te Pego, le carton mondial du Brésilien Michel Telo. L’effet auprès de ces dames est garanti… Il y a bien l’un ou l’autre couac, mais l’énergie dégagée compense et emporte tout sur son passage. Comme d’habitude, les 20 minutes de Tout ça ne vous rendra pas le Congo terminent le set. Applaudissements, sourires, rideau. Une bonne claque.

Pourtant, en coulisses, Baloji fulmine.  » Il y a eu plein de problèmes techniques, j’ai fait tomber des micros, décroché des fils. Un vrai concert de merde. » Vu du public, on n’a quasi rien remarqué, calé par l’électricité du moment. C’est ce qui s’appelle faire joliment illusion…

Après Rio, direction São Paulo, la mégalopole de 20 millions d’habitants. Spécialité locale: les bouchons. C’est bien simple: le transfert entre l’aéroport et l’hôtel est quasi aussi long que le trajet en avion depuis Rio.

Le concert du soir a lieu au Sesc de la rue Ceclia, dans les quartiers de la ville. Ancien site industriel reconverti en centre culturel, l’endroit a des airs de Berlin alternatif ou de Tour & Taxis miniature. Il y a des espaces pour des expositions, du théâtre, des concerts… Un des anciens entrepôts abrite également un énorme espace de lecture, parsemé de divans parmi lesquels circule un petit ruisseau creusé dans le pavé. Le restaurant se la joue cantine sans chichis, et une piscine est même accessible librement un peu plus loin.

Programmé dans le cadre d’une semaine consacrée à la francophonie, Baloji devait jouer avec Tiken Jah Fakoly. Le reggaeman ivoirien a cependant fait faux bond. Du coup, il est remplacé par William Baldé, et Baloji et son orchestre de la Katuba héritent de la tête d’affiche.

Vers 22 h 30, le groupe se pointe dans les coulisses, sapés comme des princes. Légère embrouille: passé à côté de son concert, Baldé descend de scène remonté contre la bande à Baloji. La Katuba aurait pris trop de temps pour sa balance, prétend-il. Pas plus que son propre band, rectifie pourtant l’organisateur. Tensions.

En même temps, il en faut plus pour bousculer le groupe. A ce stade-ci de la tournée, tout le monde est bien en place. Du coup, quand le début du gig flotte un peu, que Baloji même est pris de crampes au ventre, l’orchestre de la Katuba tangue bien un peu, mais file toujours aussi droit.

Il y a Arnaud Chamey, l’ingé son français qui a bossé sur des concerts de Mulatu Astatke, Orchestra Baobab…; à la basse, Didier Likeng est un peu le chef d’orchestre, présent depuis le début de l’aventure; aux claviers, Philippe Ekoka, l’autre membre de la filière camerounaise, frôle ses touches pour un maximum d’effet soul; derrière les fûts, Saidou Ilboudo vient lui du Burkina Faso, batteur instinctif et complètement dévoué au groove, évacuant tout effet facile; last but not least, Dizzy Mandjeku assure la guitare, rumba style. Le patriarche est une légende: il a parcouru le monde (il faut l’entendre raconter sa tournée chinoise avec Zap Mama), a joué avec les plus grands de la musique congolaise (Franco, Tabu Ley Rochereau…). En fin de concert, cela ne loupe jamais: quand il se lève de sa chaise pour effectuer quelques pas de danse, continuant de jouer de la guitare dans le dos, le public craque complètement.

C’est encore le cas ce soir-là quand Kesho boucle le concert. A ce moment-là, les remous intimes et le chaos universel se mélangent et se frottent. Il y a de la joie, du combat et de l’euphorie gospel, la sensation que la charge est lancée, que la cavalerie est là pour porter le coup final. « Papa Dizzy, bénis-les », exhorte Baloji. Oui, Papa, s’il te plaît…

BALOJI, KINSHASA SUCCURSALE, DISTRIBUÉ PAR CRAMMED.

TEXTE ET PHOTOS LAURENT HOEBRECHTS, AU BRÉSIL

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