Brame d’automne

À l'avant-plan, jeans et chapeau, Rateliff pose devant les musiciens de Night Sweats, l'un des meilleurs groupes américains actuels. © DANNY CLINCH

Dans un schéma post-Dylan-Springsteen abrasif, d’un impérial soul-rock, le troisième album de Nathaniel Rateliff & the Night Sweats, The Future, pulvérise l’ennui et la morosité.

En février 2020, juste avant que les festivités virales ne décollent, Nathaniel Rateliff sort un album solo -son troisième- titré And It’s Still Alright. Le disque le plus spleen d’une carrière entamée en 2007 via la formation Born in the Flood. Sur l’objet discographique paru il y a un peu moins de deux ans, le natif du Missouri (1978) dit adieu à son ami-producteur Richard Swift, précocement parti à l’âge de 41 ans. Les chansons lentes flottent comme des carcasses de doute au-dessus du chagrin personnel et du grand livre des musiques nord-américaines. Rateliff y balance son spleen:  » They say you learn a lot out there, how to scorch and burn / Gonna have to bury your friends and then you’ll find it get worse ».  » Je ne pouvais pas emmener ce disque chez les Night Sweats, parce que le propos était trop perso, trop intime« , justifie-t-il . On est loin donc de l’actuel The Future mené avec le band en question . L’affaire carnassière éperonne les onze titres avec une fougue allant au-delà de l’intensité des prouesses vocales passées. Rateliff semble avoir bouffé du lion à chaque petit-déjeuner vocal, emballé en production pimpante de péplum qui se donnerait parfois des airs de film d’auteur.  » Il y a dans The Future des mots qui ne sont venus qu’au moment de l’enregistrement. Qui a commencé à deux, Patrick Meese à la batterie et moi à la guitare acoustique et au chant. On était en octobre de l’année dernière et le processus s’est terminé vers mars 2021. L’écriture de ces chansons, au milieu de la pandémie, a été façonnée par une situation qui semblait extrêmement lugubre. Même si je me trouvais dans un coin campagnard, proche de Denver, Colorado, plutôt agréable. Là où j’ai pu acheter un peu de terrain et ma toute première maison. Je n’avais jamais vécu dans une maison auparavant. »

Comme pour tant d’autres musiciens, le Covid sert à Nathaniel de miroir à son propre sort, ses relations et son parcours artistique. Et à un succès qui n’a cessé de gonfler depuis la sortie à l’été 2015 de l’éponyme Nathaniel Rateliff & The Night Sweats. Et du single, saillie Blues Brothers enrobée de soul turbulente, le bien nommé S.O.B. (Son of a Bitch…). Matière organique qui doit beaucoup à Van Morrison et Otis Redding. Pas totalement un hasard si Rateliff a donc été signé sur Stax, le légendaire label revenu sur le marché en 2004 après deux décennies de léthargie.  » À cette période, il y a donc cinq-six ans, mon idéal était de faire l’imbécile, d’accomplir un trajet qui a fini par s’avérer fructueux. Même si mes copains, dont pas mal faisaient mes premières parties, étaient nominés pour les Grammy’s et moi, pas du tout (sourire) . Même si je vends davantage de tickets de concerts qu’il y a quelques années, il y a quand même toujours un doute sur ce que je pourrais ne pas faire de bien. »

Cruel capitalisme

Un artiste qui ne doute pas n’en est sans doute pas un. Pas forcément une devise qu’on appliquerait de premier abord à Nathaniel, amplement tatoué, y compris sur les mains ornées de bijoux. Mais dans les dédales d’un album qui cultive les paradoxes, jamais les intros des chansons (pas seulement) ne semblent avoir été autant travaillées, jamais les thèmes abordés n’avaient eu pareille écorce globale.  » Je peux évidemment qualifier certains moments de chansons d’amour. Mais le lien entre la plupart des morceaux, c’est qu’ils amènent davantage de questions que de réponses sur le futur. Ces titres, je l’espère, créent des conversations et une introspection chez les gens, une réflexion sur le cruel capitalisme actuel. Celui que combat Bernie Sanders, que je soutiens, bien davantage que Joe Biden. Je ne parle même pas de « vilainiser » Trump parce que c’est lui accorder bien trop d’importance, comme à la corruption corporate. »

Il n’y a sans doute pas de hasard. Longtemps, le marché musical nord-américain a été stigmatisé par son obsession -capitaliste?- des genres: autant sur les radios que dans les bacs de disques, extrêmement compartimentés. Aujourd’hui, un Nathaniel Rateliff -comme d’autres, tel The War on Drugs- floute les barrières de style. Décrochant une identité perso tout en croisant soul, rock, gospel et autres grattoirs rythmiques. Rateliff sent que les temps changent, qu’il n’est désormais plus réaliste de compartimenter à l’excès. Et étonne en révélant la source gospel, qui à plusieurs reprises sur l’album sonne comme une chorale black de Memphis. Rateliff:  » Ah non, ce n’est pas du tout ça (rires ), c’est juste ma voix, en couches multiples, et des copains qui se sont ajoutés. Comme dit Charles Bradley, la façon dont tu chantes n’est pas basée sur la couleur de la peau… » CQFD.

Brame d'automne

Nathaniel Rateliff & The Night Sweats

« The Future »

Sur le premier morceau, dont le titre est aussi celui de l’album, Rateliff sonne plus que jamais dylanesque. Pas seulement pour le ton vinaigré de la voix empruntant les fameuses inflexions nasales de Bob, mais aussi par la façon dont Rateliff laisse courir les mots d’un  » stream of consciousness » . Expression elle aussi, on ne peut plus dylanienne. L’influence du misanthrope suprême est ici jetée dans un grand mixer où se rencontrent aussi les manières joyeuses de la soul sixties, d’un grain de jazz, et d’une énergie springsteenienne. Pas seulement parce que Nathaniel tient avec The Night Sweats l’un des meilleurs bands américains actuels, bourré de cuivres et de vibes. Mais parce qu’il incarne intégralement ce bout d’Amérique passionnel. Y compris dans les liens qu’il peut ressentir avec les justes trentenaires Kevin Morby ou Courtney Marie Andrews, singers-songwriters talentueux qui écouteront The Future avidement. Comme on le fait depuis quelques jours.

Distribué par Universal.

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