DÉJÀ PLUS DE 30 000 PRÉVENTES POUR CE QUI S’ANNONCE COMME L’ÉVÉNEMENT ARTISTIQUE DE L’ANNÉE ROCK: 300 OBJETS ISSUS DES ARCHIVES PERSONNELLES DE L’ICÔNE SONT « CURATÉS » PAR LE PRESTIGIEUX VICTORIA & ALBERT MUSEUM LONDONIEN. VISITE EXPLIQUÉE DE DAVID BOWIE IS.

« Le V&A est l’un des cinq musées anglais les plus visités, nous recevons 3 millions de visiteurs par an. Je crois que ce n’est pas un hasard si Bowie a accepté d’y être exposé, il voulait un lieu dédié à l’art plutôt qu’au rock. » Geoffrey Marsh est l’un des deux curateurs de l’événement qui secoue la planète bowienne (après la sortie de son nouvel album The Next Day, lire critique dans Focus du 15 mars) depuis l’annonce officielle de sa tenue en 2012. Directeur des Collections de Théâtre du musée, Geoffrey, 55 ans, nous fait un briefing éclair du bâtiment barnum: 51 000 m² et 145 galeries, 5000 ans et près de 5 millions de pièces brassant une extraordinaire rangée de styles et de géographies. Devant les colonnes romaines antiques de 20 mètres de haut et le portique en taille réelle d’une église de Saint-Jacques de Compostelle (…), on comprend ce qui amène Bowie ici. Le sens de l’Histoire et le désir d’y prendre place, pas moins. Marsh: « Bowie ne voulait pas être présenté au Hall Of Fame de Cleveland ou à l’Experience Music Project de Seattle. Peut-être que le fait d’être une institution anglaise a joué: moins par « patriotisme » que parce que les conseils d’administration, en Amérique, sont plutôt conservateurs. » Là, en compagnie de la seconde curatrice, Victoria Broackes, on enfile des chaussures d’ouvrier pour visiter les deux salles bowiennes, encore à l’état de menuiserie. On est à la mi-février mais le parcours proposé au futur visiteur est clair: interactivité poussée, recontextualisation permanente de la bio de l’artiste, repères historiques par les looks successifs, images diversement déclinées. En début de cet ordonnancement essentiellement thématique, on retrouve donc la terrace house de l’enfance sud-londonienne, le sentiment de Seconde Guerre mondiale inachevée, les premiers éclats comme mod et ces costumes que David dessine pour son groupe, The Kon-Rads, tellement sixties. Déjà le sens de la mise en scène comme acteur: c’est précisément de création de personnage qu’il s’agit.

Archives secrètes

« Bowie n’est pas une personne: je ne parle pas des personnages successifs devenus fameux, Ziggy Stardust, The Thin White Duke, mais de lui-même, également une (re)construction. La vraie personne, c’est David Jones, son nom civil jusqu’en 1965. Les personnages lui ont donné confiance, l’ont autorisé à être différentes choses. » Geoffrey Marsh a passé les deux dernières années immergé dans Bowie et les quelque 45 ouvrages dont il est le sujet. Au départ, il est pourtant question d’honorer une autre rock-star -« je ne peux pas dire de qui il s’agit« – mais après l’échec des négociations, l’intermédiaire avec cette mystérieuse étoile souffle alors le nom de Bowie. Sans grande surprise, il est dans le Top 10 des curateurs. Marsh: « Bowie a installé dans un entrepôt aux Etats-Unis -je ne peux pas en préciser la localisation- environ 70 000 objets, une collection fabuleuse pour laquelle il a engagé un archiviste qui a travaillé presque trois ans pour créer une base de données extrêmement détaillée. Quand il a marquéson accord pour l’expo, on m’a dit qu’il ne s’impliquerait nullement dans le processus et qu’il ne serait pas possible de le rencontrer. » Marsh et l’autre curateur, Victoria Broackes, entreprennent une demi-douzaine de voyages au coeur du BowieLand: « Il a pratiquement tout conservé, y compris des bouts de textes écrits en studio -on montre d’ailleurs des cut-ups (1) dans l’expo-, certains artefacts comme le costume de Ziggy Stardust, usé par le temps, ont été dupliqués, ainsi que la fameuse tenue de Yamamoto, dont le plastique s’était dégradé. Bowie contrôle tout: lorsqu’il a commandé le fameux costume Union Jack de 1997 à Alexander McQueen, il l’avait intégralement imaginé et conçu pour être photographié dans une sorte de paysage anglais pastoral. » L’exposition, thématique, offre des repères de la chronologie bowienne. « On montre comment il a grandi dans un quartier très abîmé par les V1 et V2 de la guerre, dans une famille assez curieuse, où il ne connaissait que son demi-frère Terry et pas les deux autres membres de la fratrie. Il a été élevé comme enfant solitaire par un père qui, lui-même, avait eu des ambitions artistiques. En 1933, à l’âge de 21 ans, celui-ci avait touché un héritage de 3000 livres, le prix de six petites maisons de l’époque. En un an, il a tout dilapidé en compagnie d’une réfugiée autrichienne qui avait fui les nazis et dans l’ouverture d’une boîte à Soho, à l’outrance digne du style Lady Gaga des années 30. Ce qui est étonnant, c’est qu’à 13 ans, son fils David avait décidé de devenir une star, alors qu’en 1960, hormis peut-être Little Richard et Brel -ses idoles- il n’y avait pas véritablement de modèles du genre.  »

Gucci & Sennheiser

Sponsorisée par Gucci et Sennheiser -« cela n’aurait pas été possible sans eux« -, l’expo tient symboliquement entre ces deux bornes de la mode et de la technologie. Les costumes exhibés -une soixantaine- sont la résultante d’une constante fascination bowienne pour des mouvements aussi divers que le kabuki, le surréalisme, le théâtre brechtien ou l’avant-garde du mime. Outre les bluffantes panoplies, comme le Ziggy impossiblement chochotte de Freddie Burretti, on parcourera donc les lieux signifiants: l’ancien Londres déjà cité, un Berlin reconstitué en hommage à la fameuse trilogie créée dans la ville alors ouest-allemande, et l’endroit suprême de réalisation: la scène. La section finale de l’expo présente des extraits de films, de clips musicaux live et reconstitue la magnétique tournée Diamond Dogs de 1974, inspirée du Metropolis de Fritz Lang et du roman anticipatif de George Orwell, 1984. La photographie, très présente, s’implante au gré du parcours sous une rafale de noms prestigieux: Helmut Newton, Herb Ritts, Brian Duffy, Terry O’Neill ou encore Masayoshi Sukita, ce dernier sublimant une sorte de Dieu Bowie au Pays du Soleil Levant. Bowie a toujours eu l’intelligence de s’entourer de créateurs talentueux: Tony Visconti, producteur d’une dizaine de ses albums, est l’un d’entre eux. Il a accepté de faire un mash-up bowien pour l’expo qui s’annonce aussi comme une « véritable expérience audio en 3D« . Sennheiser a conçu une disposition quasi chirurgicale du son, via des enceintes Neumann KH dissimulées au gré des décors. D’où cet étonnant panel de téléviseurs projetant The Man Who Fell To Earth où le son change selon la position du spectateur. Le pari du V&A est ambitieux: malgré des préventes qui posent un nouveau record du genre -plus de 30 000 tickets écoulés au moment d’écrire ces lignes au 11 mars-, le budget de 3 millions d’euros sera tout juste à l’équilibre, avec l’ambition légitime de faire voyager David Bowie is dans une demi-douzaine de lieux en dehors de la Grande-Bretagne. Marsh: « Bowie a été un workaholic extraordinairement ambitieux. Il a travaillé dans une agence de pub entre 1963 et 1969, et par exemple en adoptant l’idée d’astronaut of inner space -de JG Ballard- il a récupéré toute une série d’indices de la contre-culture et en a fait du Bowie, sans avoir peur de se contredire sur la longueur. D’ailleurs, si la planète avait un hymne terrien, elle pourrait logiquement choisir Heroes…  » Just for one day, comme dit la chanson. L’expo, elle, dure jusque fin juillet.

(1) PROCÉDÉ INSPIRÉ DE WILLIAM BURROUGHS DE (RE)COMPOSITION DE TEXTES PAR DES DÉCOUPES DE MOTS ET DE PHRASES ALÉATOIRES.

DAVID BOWIE IS DU 23 MARS AU 28 JUILLET AU V&A MUSEUM À LONDRES, WWW.VAM.AC.UK – A LIRE ET À REGARDER: LE (SUPERBE) LIVRE OFFICIEL DE L’EXPO, DAVID BOWIE IS INSIDE, INFOS SUR WWW.VANDAPUBLISHING.COM

TEXTE PHILIPPE CORNET, À LONDRES

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