TROISIÈME LONG MÉTRAGE DE BOULI LANNERS, LES GÉANTS RELATE L’ÉQUIPÉE DE 3 ADOS LIVRÉS À EUX-MÊMES, UN VOYAGE INITIATIQUE INSCRIT DANS UN CADRE FANTASMATIQUE OUVRANT SUR LE CONTE.

On avait quitté Bouli Lanners il y a quelques années déjà, sur la route d’Eldorado; on le retrouve à Bruxelles, par une belle matinée du mois d’août, pour évoquer Les Géants, son troisième long métrage comme réalisateur, et le voyage initiatique de 3 adolescents livrés à eux-mêmes, embarqués pour une série d’aventures à la lisière du conte et du monde des adultes. Un film aussi singulier que personnel, « hors-piste en piste », pour reprendre l’expression de son auteur, peu avare de confidences. Et pas plus regardant sur son temps, lui qui remettra le couvert de l’entretien quelques semaines plus tard, chez lui, sur les hauteurs de Liège, pour aborder cette fois le contenu de ce Focus made in Bouliwood -à lire par ailleurs, tout au long de ce magazine…

Comment l’histoire des Géants a-t-elle pris forme?

Au départ, il y a eu la rencontre avec un adolescent, qui poussait une mobylette en panne. Il m’a arrêté sur la route, au retour de Maastricht où il était allé acheter du shit, à mon avis, et il m’a demandé de lui vendre à boire. (…) Je lui ai plutôt proposé d’aller boire un verre et manger, et on a parlé pendant 2 heures. Quelques jours après, je suis tombé sur 2 autres ados, qui débarquaient en ville, tout perdus. Je les ai pris en bagnole, je les ai déposés en ville, et j’ai été touché par la fragilité de cet âge-là: des petits hommes, qui ne sont pas encore des hommes mais des résidus d’enfants, et qui s’affirment de manière si fragile. C’est ainsi qu’est née l’envie de faire un film sur l’adolescence, mais au niveau de l’adolescence. Et de parler de la confrontation qui peut être rude avec le monde adulte.

Dans le processus de réalisation d’un film, l’écriture est-elle un stade que tu apprécies?

C’est un truc qui m’excite, parce que tout est possible. Et j’aime bien, parce que c’est le moment où je suis seul et où je peux, et même je dois, prendre le temps de m’emmerder, ce qui est un luxe, aujourd’hui, pour moi. J’ai besoin de m’emmerder, de tourner en rond, d’écouter des gens. Quand tu es dans un truc de stress, tu estout sauf à l’écoute; il faut que tu sois dans une humeur un peu bluesy, et pour ça, il faut lever le pied. Et j’aime bien aussi parce que c’est une introspection personnelle très profonde.

A propos de blues, le rythme de tes films est très singulier, avec un côté flottant que l’on retrouvait déjà dans Ultranova…

Oui, j’aime bien flotter, même si maintenant, on flotte un peu moins. J’aime ce moment où on se pose, au cinéma. Mes récits sont toujours très petits, il n’y a pas beaucoup de viande sur l’os, et le récit n’est pas là pour insuffler un rythme. Je n’ai pas besoin du récit pour avancer, mais bien d’autre chose: de réflexion, d’introspection des personnages, de questionnement existentiel.

Pourquoi, dans le cas des Géants, avoir recouru à l’articulation d’un conte?

Au début, le film devait se passer dans un milieu périurbain. Et puis, pour des questions d’ordre logistique, cela n’a pas fonctionné. Une fois qu’on a remis cela à la campagne, j’ai réalisé que cela ressemblait à un conte. J’ai revu toute l’histoire, et cela m’est apparu de manière plus évidente encore: ce sont 3 enfants perdus dans les bois, dont on ne sait pas où sont les parents, et moi, je n’ai pas envie de l’expliquer, j’ai enlevé les scènes où on les voyait, et j’ai radicalisé le truc. La thématique aurait pu être celle d’un film social, et donner quelque chose de complètement indigeste. J’ai donc choisi de prendre le contre-pied, d’aller dans une direction tout à fait différente, en tournant un conte.

En même temps, tes 3 films sont étroitement liés thématiquement: ils parlent tous de l’éclatement de la cellule familiale, de la rupture. Qu’est-ce qui t’y ramène toujours?

Je ne l’ai compris que cette année, à Cannes. Je ne théorise pas, il y a une énorme part d’instinct dans ce que je fais. Dans Les Géants, je voulais faire un film avec des ados, avec Eldorado, je voulais faire un road-movie, et avec Ultranova, un film sur la non-communication entre les gens, dans un milieu où, justement, on construit des maisons qui symbolisent la famille alors qu’il n’y en a plus. En faisant les interviews, à Cannes, il m’est apparu évident que c’était une thématique récurrente, encore présente dans mon 4e film, que je suis en train d’écrire. Il y est encore question d’une famille éclatée, et du fait d’essayer de reconstruire quelque chose, ce à quoi on arrive petit à petit, d’un film à l’autre. J’ai enfin compris ce que je faisais, et même en dehors des films, c’est quelque chose qui m’obsède. C’est la nostalgie de ma famille: à travers mes films, je fais chaque fois mon mea culpa.

C’est-à-dire?

Dans Eldorado, Yvan, c’est moi, au propre comme au figuré. Je me dis que j’aurais dû faire plus de choses pour ma famille. Et ici, je me dis que, dans cette société, je n’aurais pas dû être un très vieil ado de 45 ans, j’aurais dû assumer des responsabilités d’adulte, avoir un enfant et m’en occuper. On ne peut pas être dans une société d’adolescents permanents. Je mets le doigt dessus, et je m’inclus dans le jugement. J’ai l’impression, depuis que j’ai tourné ce film, d’être devenu un adulte. Je fais des films qui sont très en dehors de la réalité, mais il y a toujours en toile de fond cette critique de société dans laquelle je m’inclus complètement. Je fais mon autocritique, et mes films sont un peu ma psychanalyse personnelle. C’est pour ça aussi que je ne vais pas faire cela toute ma vie. Pour le moment, je me sens bien dans mon rôle de réalisateur. Mais à un moment, j’aurai terminé ma thérapie, et j’arrêterai de faire des films.

A côté de ton parcours de réalisateur, tu poursuis un parcours d’acteur. Les envisages-tu sur un mêmeplan?

Non. Je les envisage en parallèle dans mon timing, parce que pour moi, c’est important d’encore jouer tout en continuant à faire des films. Mais c’est clair qu’il n’y a pas le même investissement, celui requis par mes films est beaucoup plus lourd, plus personnel et plus profond. Quand je joue, je me mets au service d’un film. Je ne suis pas très Actors Studio, et en plus, je cherche les seconds rôles, je vais un peu à contre-sens de tout le monde, ce qui me laisse un choix pas possible, et pas mal de temps. Je me sens très bien comme ça, ça me suffit. Le jour où j’arrêterai de réaliser, je continuerai à jouer, ce qui me laissera du temps pour peindre.

Qu’est-ce qui te guide dans tes choix d’acteur? Est-ce qu’on tourne Astérix et Louise Michel pour les mêmes raisons?

Non, pas du tout. L’investissement d’un film à l’autre est très différent. Les mauvaises langues diront que je tourne Astérix pour l’argent. Oui, je le fais pour l’argent, parce qu’il faut bien vivre, ce qui me laisse du temps ensuite pour travailler et écrire. Mais je ne le fais pas que pour ça. Dans le cas présent, il y a d’abord le fait que c’est Laurent Tirard, pour un tournage en 3D, en Irlande et en Hongrie, et que je joue Olaf Grossebaf, un personnage super dans la BD. Et ça me permet de faire un film populaire, qui va m’aider à aller chercher un public pour mes films qui sont a priori plus cinéma d’auteur, mais que je voudrais être aussi populaires. C’est important, pour moi, de papillonner d’un film très grand public, où j’apprends beaucoup de choses, à des films d’auteurs plus pointus ou plus engagés. L’expérience de ma vie, c’est de pouvoir faire des gros trucs, et des trucs pointus. Chez Kervern et Delépine, je retrouve ce que j’apprécie bien dans le cinéma français: un côté irrévérencieux, anarchiste, tout en étant calibré. C’est quand même un travail, une £uvre, c’est du hors-piste, mais un peu cadré.

Ce qui s’applique aussi à ton cinéma…

Hors-piste, tout en étant quand même dans le système: je fais des films financés, tout le monde est payé, on va chercher de l’argent public et de l’argent privé, on est dans des créneaux de distribution classiques, c’est quand même grand public tout en étant du cinéma d’auteur. Je n’aurai pas autant de monde qu’un blockbuster, mais j’essaye néanmoins d’aller chercher un public. On est un peu horspiste en piste, et j’aime bien ça: j’aime bien ce statut, et ces équilibres fragiles.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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