AUTOUR D’UNE FEMME DISPARUE, JOACHIM TRIER, LE RÉALISATEUR D’OSLO, 31 AOÛT, SIGNE UN DRAME FAMILIAL LÉCHÉ, MULTIPLIANT LES POINTS DE VUE POUR EXPLORER UN DÉLICAT TRAVAIL DE RECONSTRUCTION

Troisième long métrage du réalisateur norvégien Joachim Trier après Reprise, en 2006, et l’impeccable Oslo, 31 août, qui devait lui valoir une large reconnaissance cinq ans plus tard, Louder than Bombs (critique en page 39) présente un profil quelque peu hybride. Coproduction européenne (répartie entre la Norvège, la France et le Danemark), le film a été tourné en anglais aux Etats-Unis, et aligne par ailleurs un casting international, où Isabelle Huppert côtoie Jesse Eisenberg et Gabriel Byrne. La star française y incarne Isabelle Reed, photographe de guerre disparue dans un accident, le film s’insinuant dans l’intimité de sa famille trois ans plus tard, à l’occasion d’une prochaine exposition commémorative. Et de disséquer un délicat travail de reconstruction au gré d’une mise en scène clinquante, multipliant les points de vue comme les éclats d’une bombe à fragmentation. Une démarche dont le cinéaste s’expliquait lors du dernier Festival de Cannes, où Louder than Bombs était présenté en compétition.

Le titre du film est aussi celui d’un album des Smiths, une compilation destinée au marché américain. Ont-ils constitué une inspiration?

Le titre est certainement venu de là, en effet. Mais les Smiths eux-mêmes l’avaient emprunté à un poème de l’auteure canadienne Elisabeth Smart, intitulé By Grand Central Station, I Sat Down and Wept. Ce titre est donc passé par différents filtres avant de m’atteindre. Je ne l’ai pas choisi en référence aux Smiths, il reflétait plutôt le rapport entre des événements tragiques à l’échelle du monde et les douleurs en apparence plus petites au sein de la sphère familiale. Il y avait une notion de taille et d’exposition qui me semblait intéressante.

Avez-vous choisi d’ouvrir le film sur un plan de nourrisson pour montrer que cet enfant innocent allait devoir à son tour absorber une histoire familiale de secrets et de douleur?

Le film parle de la construction de l’identité au sein de la famille. Le sens de l’intimité, mais aussi le besoin de séparation, avec la douleur qui l’accompagne. Ce sont des éléments fondamentaux que j’aborde de façon plutôt abstraite, mais auxquels chacun peut se connecter. J’ai voulu expérimenter quelque peu: j’ai grandi en voyant beaucoup de drames familiaux américains tournés sur la côte Est, mettant en scène des gens ordinaires dans un environnement aux couleurs automnales. Les films de John Hughes, que je croyais originaire de New York alors qu’il venait de Chicago, comme The Breakfast Club, par exemple. Et j’ai voulu en faire une version moderne, parce que je n’avais rien vu depuis un bon moment qui traite de l’interaction sociale dans une famille d’aujourd’hui.

Pourquoi avoir voulu faire de cette histoire votre premier film américain?

J’y vois beaucoup de spécificités américaines. On développe des personnages, on les aime et puis, soudainement, ils deviennent ce qu’ils sont. L’environnement d’où proviennent les parents me semble clairement être celui du New York branché des années 80. Il entamait sa carrière d’acteur, et je peux imaginer qu’il aurait aimé jouer dans Desperately Seeking Susan, en lieu et place de quoi il s’est retrouvé dans les films de Shelley Long, qui est merveilleuse, cela dit, ce n’est donc pas si mal. Et elle est une photographe venue de France, s’étant installée à New York avec son incroyable environnement journalistique et photographique, et des agences comme Magnum ou VII (1), qui représentaient les photographes nationaux. Et nous voilà dans ce cadre cosmopolite…

Pourquoi avoir fait d’elle une photographe de guerre?

De nombreux cinéastes font des films sur des policiers qui doivent résoudre une affaire de meurtre, et dont le boulot déteint sur la vie privée. Et certains d’entre nous ont des jobs qui remplissent leur vie: ils voyagent et travaillent beaucoup, le défi devenant d’avoir une relation durable et de faire partie d’une famille. Les photographes de guerre me semblent intéressants, parce que si chacun reconnaît leur désintéressement et les vertus de leur travail, il y a une part d’égoïsme à s’exposer dans un boulot aussi dangereux. Certains en parlent en termes d’addiction à l’adrénaline, ce qui peut se révéler extrêmement autodestructeur. Cela m’intrigue, j’en ai rencontré quelques-uns, et je connais des gens qui mènent ce genre de vie. C’est tout à la fois admirable et complexe.

Comment la structure éclatée du film s’est-elle imposée?

Je suis attiré par les narrations elliptiques et séquentielles. Très tôt, avec Eskil Vogt, le coscénariste, nous nous sommes dit que plutôt que de raconter l’histoire d’un personnage unique, nous allions aborder le récit comme le ferait un romancier, et sauter d’une perspective à l’autre. Je trouvais intéressant de faire un récit polyphonique, dont les éléments opèrent en miroir pour nourrir la progression narrative. Il y avait là un côté expérimental, résultant de la façon dont les choses se sont présentées en cours d’écriture. Nous tenions à créer une dramaturgie exigeante. Par là, j’entends que nous n’avons pas voulu nous en tenir aux règles que l’on admet en général comme les seules valables pour raconter une histoire: la nécessité, par exemple, d’avoir un protagoniste central. Ou cette croyance voulant que la voix off soit littéraire et non cinématographique. Mais pourquoi donc?

(1) LES DEUX AGENCES ONT PRÊTÉ LEUR CONCOURS AU FILM, ET JOACHIM TRIER A PU RECOURIR AUX CLICHÉS DE DIVERS PHOTOGRAPHES, CEUX DE ALEXANDRA BOULAT EN PARTICULIER.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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