L’anecdote vaut son pesant de cigares cubains. Lors d’un bal, le Che, qui souffrait d’amusie (ce qui ne veut pas dire qu’il avait un besoin pathologique de faire la fête mais bien que la musique lui faisait à peu près le même effet qu’une cuillère de sirop à un tuberculeux), demanda à un camarade de lui donner un coup de coude quand l’orchestre entonnerait un tango, histoire qu’il puisse inviter à danser une infirmière qu’il trouvait à son goût. Pas de chance, le complice fit un geste malencontreux et le Commandante se précipita sur la piste avec sa cavalière où il esquissa quelques pas de tango sur un air de… samba. On raconte que tout le monde s’esclaffa. Mais pas trop quand même pour ne pas énerver le nettoyeur en chef de Castro… Comme l’icône des chambres d’ado, 5 % de la population n’entendraient strictement rien à la musique. Ce qui ne les empêche pas de maîtriser le langage. Mais un air de Grateful Dead ou de Chopin, c’est la même bouillie fade qui se déverse sur des tympans mélophobes. Aucune émotion, aucun souvenir, aucun frisson à la clé. Chez ces estropiés acoustiques, les notes glissent sur les parois du cerveau comme le vent sur la banquise, sans rencontrer d’obstacle, sans déclencher de réactions en chaîne. Que ratent exactement ces analphabètes du pavillon?  » Un truc qui colle encore au c£ur et au corps« , répondrait l’ami Voulzy.  » Une vibration, une décharge, une caresse, un uppercut, un orgasme« , renchériraient, l’écume aux lèvres, des vagues de mélomanes. Mais encore?  » Un joyeux bordel neuronal« , complèteraient les blouses blanches. Car c’est désormais une certitude validée scientifiquement, la musique est une petite bombe H pour le cerveau. Quelques accords suffisent à donner le tournis aux méninges. Une petite tuerie mélodique et c’est tout le système qui va aux fraises. Avec ce gros avantage que l’air qui fait la chanson entre toujours sans frapper. Sur l’écran d’un scanner, un ciboulot matraqué de beats furieux doit ressembler à une vue aérienne de Manhattan ou Tokyo en pleine nuit. Toutes les zones sont illuminées. Ça clignote de partout, à gauche comme à droite. C’est ce qui rend la zique si addictive et si difficile à définir. Elle est à la fois liquide et minérale, organique et hallucinogène. Un fluide magique.  » La perception de la musique tient du miracle« , souligne d’ailleurs le neuropsychologue Bernard Lechevalier dans Le cerveau mélomane de Baudelaire (Odile Jacob). Il n’en faut pas plus pour lui prêter des vertus sociales et curatives. Pour autant, elle n’est pas la panacée non plus. Comme adoucissant des m£urs (certains artistes, au hasard Obispo ou Lara Fabian, donneraient plutôt des envies de meurtre…), on repassera. Elle ne rend pas non plus intelligent comme on l’a cru un moment. Depuis le début des années 90, sur foi d’une étude vite faite mal faite, une rumeur tenace comme une tache sur un chemisier dans une pub voulait nous faire croire que les friandises sonores de Mozart musclaient les capacités cognitives. Du pipeau. Comme l’a démontré tout récemment un chercheur autrichien. Qu’importe la raison pourvu qu’on ait l’ivresse… l

Par Laurent Raphaël

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