ARNO FÊTE SES 65 ANS AVEC UN COPIEUX COFFRET DE SON oeUVRE SOLO. OCCASION DE REVISITER SON STOCK D’APHORISMES, OÙ LA ROUBLARDISE INSTINCTIVE CONCURRENCE L’ABSURDITÉ BELGE DANS LE SCÉNARIO CONTRÔLÉ D’UN HOMME, AU FOND, DÉCONCERTANT.

On l’a découvert sur scène en 1976, interviewé pour la première fois en 1985, filmé pendant plusieurs jours et nuits en 1992-1993 pour un documentaire et puis régulièrement causé jusqu’ici, avec un petit break au milieu des années 2000, suite à un coup de froid relatif à la question de son producteur Live Nation. On l’a forcément croisé dans des bars bruxellois, marchant en rue « comme un pêcheur », parfois tipsy tipsy mais, y compris au fond d’un verre, toujours en autocontrôle prononcé. Qui est Arno? Un grand acteur de sa propre vie, auteur d’un script faussement brumeux et gouailleur, éternel « Ostendu » de la Mer du Nord, personnage à double fond. Voilà quelques poissonneries nous ayant été servies chaudes par le maître en personne ces 30 dernières années, citations et développements inclus.

« MA MUSIQUE, C’EST UNE LARME ET UN SOURIRE »

Il l’a tellement employée celle-là qu’on ne sait plus si elle lui appartient, ou si c’est un emprunt à Tonton Toots Thielemans. N’empêche que le côté chaplinesque du chanteur, aussitôt démenti par la rageuse bête de scène, s’épanouit dans le contraste. Autres formules volontiers bazardées aux quatre vents: « Moi, je suis lesbienne », « J’ai deux trous dans le nez », voire l’à peine plus rare, « Il faut être son propre Jésus ». A propos de ce dernier, dans Tango de la peau, Arno chante: « J’ai vu les roberts des Anglaises, des maigres et des obèses mais je préfère ceux des Françaises (…) J’ai vu le zizi à Jésus-Christ, pas plus gros qu’une allumette, il lui sert pour faire pipi/C’est le tango de la peau, la peau c’est chaud… » La peau, c’est show.

« QUAND LES BONBONS PARLENT, LE CERVEAU BANDE »

La preuve que ce garçon ne réfléchit pas qu’avec le bassin.

« QUAND JE ME VOIS À LA TÉLÉ, JE ME DIS: « C’EST QUOI ÇA CE MEC? » »

Pas trop son truc, le plateau télé, surtout « avant ». Dans Le Cercle de minuit de Michel Field, de France 2, le 29 mars 1993, l’actrice Anouk Grinberg explique sa rencontre avec Patrice Chéreau, genre très imprégnée de son art, grattage de cheveux et silences réfléchis compris. Arno -jusque-là hors-champ- se lève en disant: « Est-ce que je peux partir, je dois faire pipi… à tout à l’heure. » Hilarité visible sur le site de l’INA.

« MON ZIZI, C’EST UN SCHLURF »

En 1985, Arno parle de sa jeunesse: « Après ma première petite amie Pierrette, j’ai rencontré une Française qui était jeune fille au pair en Angleterre, elle portait une mini-jupe (…) On s’est écrit et à 18 ans, je suis allé la voir à Sceaux près de Paris, et j’ai fait l’amour avec elle. Et j’ai eu des problèmes parce que la peau de mon zizi n’était pas assez longue, pas assez élastique. Après des années, cela s’adapte hein. Mon docteur, il m’a dit que la peau de mon zizi, c’est comme un schlurf, la trompe d’un olifant (sic). » Quelques années plus tard, l’Ostendais se veut moins anatomique: « Je ne suis pas Johnny Holiday (sic) qui est chaque mois avec une autre femme dans Paris Match. Je pense que je montre déjà tout sur une scène ou sur un disque, c’est assez. Mon truc privé, c’est à moi et à personne d’autre. Avec les femmes, je fais ça dans un lit et c’est privé. » En 1995, il revient sur le sujet à propos de la chanson Seul de l’album Arno à la française, co-écrite avec sa compagne d’alors, la Lyonnaise Marie-Laure Béraud, mère de deux garçons qu’ils élèveront ensemble (avant de se séparer): « Tom Waits fait cela aussi avec sa femme (co-écrire), non? Et pourquoi pas? Elle se met en position de voyeuse, je trouve ça très honnête de sa part. Elle est peut-être dans la même situation que beaucoup de femmes. Chez Tom Waits également, les textes sont très intimes. »

« I SOLD MY SOUL ON MTV » (chanson)

Enregistré à Nashville à l’automne 1992, l’album Idiots savants est produit par Glenn Rosenstein, qui a travaillé avec Talking Heads. Le disque fait le grand écart entre Adamo (Les Filles du bord de mer)et une Amérique vue comme un cynique rouleau-compresseur. Dans I Sold My Soul On MTV, Arno chante (en anglais dans le texte): « Depuis l’Europe jusqu’en Amérique, on vend les mêmes salmonelles/Le ciel est plus haut que l’arbre/Je me suis vu sur MTV. » Sur A Beautiful Day In L.A., il précise: « Hey sister please, take a walk with me/In fatburger city, enjoy the misery/Where there’s no pleasure/Just some strange satisfaction. » Sur la question de la staritude, inévitable dérivé du marché américain, sortant d’une séance de gospel dans une église de Nashville, Arno nous dit: « Je suis déjà un flop-star. » Gros rires.

« ONE NIGHT WITH YOU, C’ÉTAIT LE VRAI ROCK »

Presley a tout déclenché: « La première fois que j’ai entendu ce disque, j’ai eu… J’étais dans un état comme ça, comme la première fois que tu jouis, est-ce que tu comprends? C’est quoi ça? Et cela m’a frappé pour le reste de ma vie.  »

« OSTENDE ÉTAIT UN TRUC DE PIRATES, UNE VILLE DE PIRATES »

Sur Arno à la française, Arno reprend Comme à Ostende, une compo de Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon: « On m’a expliqué que Caussimon était un mec comme moi, un clochard de luxe. Il parle de l’Ostende des années 50: à cette époque, Maurice Chevalier ou Bécaud venaient roder leur spectacle au casino avant de le jouer à Paris. Ostende est une ville au public critique, une ville artistique. Magritte y avait une maison, Einstein y venait en vacances. J’ai grandi à Ostende qui était alors une ville bilingue. Dans les bistrots de la rue Longue, on demandait « une chope », pas « een pintje », aux garçons qui venaient souvent de Bruxelles. »

« MÊME LES PLUS GRANDS GÉNIES, ILS BÉGAIENT »

Ostende, hiver 1992, Arno a la gueule de bois, on l’accompagne devant son école primaire de quartier, à Ostende, la Ernest Van Glabbeke School. « Là, j’étais bien, j’avais des copains, puis je suis allé à l’athénée, en « ville ».Et le bégaiement est arrivé à l’athénée, peut-être parce que j’étais différent de tous ces fils de bourgeois bien coiffés avec une ligne au milieu. Je m’en fous maintenant quand je bégaie, faut me prendre comme je suis. J’ai découvert qu’il y a beaucoup de gens qui bégaient, même les plus grands génies, ils bégaient. Je ne dis pas que je suis un grand génie mais un petit peu (rires). »

« JE VIENS D’UNE ENFANCE TRÈS HEUREUSE, CE N’EST PAS TRÈS ROCK’N’ROLL ÇA »

« Mon père était branché sur la musique, parce qu’il a vécu pendant la guerre en Angleterre, parce qu’il a vécu chez les Spitfires (sic), et lui m’a apporté la musique anglo-saxonne, le jazz, le blues. Ma mère écoutait le côté francophone, à cause de ma grand-mère qui était une chanteuse dans les cinémas muets dans le temps. Ma mère et sa soeur viennent de la génération post-war, le truc Juliette Greco, Jean Cocteau et l’existentialisme. Elle était très anarchiste dans sa tête, et je me souviens encore de ma mère comme d’un skinhead, et dans le temps, c’était quelque chose. Elle avait un peu la tête comme Zizi Jeanmaire, la danseuse.  »

« DANS LES YEUX DE MA MÈRE, IL Y A TOUJOURS UNE LUMIÈRE » (chanson)

Les Yeux de ma mère, titre désormais emblématique, sorti en 1995 et déclencheur d’une plus large carrière en France. Le morceau, écrit avec le percussionniste gantois Piet Jorens (également de l’aventure Charles & Les Lulus), a ces phrases: « C’est elle qui sait comment j’suis nu/Mais quand je suis malade/Elle est la reine du suppositoire. » Arno, a perdu sa mère relativement jeune, mais l’inspiration de la chanson vient aussi d’ailleurs: « C’est parti du fait que le fils de Marie-Laure Béraud, malade, a refusé que je lui mette un suppositoire. C’était maman ou personne. Même le plus grand des machos est attiré par sa mère. Il y a des choses qu’on ne confie qu’à sa mère, c’est bizarre. La première odeur de femme est celle de sa mère. »

« LA VIE C’EST PLUTÔT UNE OPÉRETTE, COMME CE PAYS OÙ ON EST TOUJOURS DANS LA MUETTE DE PORTICI »

En 1985, Arno interprète pendant un mois un petit rôle à l’Opéra de Paris. Dans Faust, l’histoire d’un type qui a noué un pacte avec le diable. N’y voyez aucun rapport.

TEXTE Philippe Cornet

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