Le réalisateur Luc Besson a élu l’héroïne de Tardi comme on tombe amoureux. Il a transposé ses aventures très librement, mais en voulant respecter l’essence du personnage. Débriefing.

Comment est né ce projet particulier?

On ne sait pas pourquoi on ressent l’évidence du film à faire. C’est comme tomber amoureux. On est dans une pièce, à une soirée, on voit plusieurs femmes et tout à coup on sait laquelle on va oser aborder. Elle peut être blonde alors qu’on préfère les brunes, petite alors qu’on préfère les grandes. On ne sait pas pourquoi, mais on l’aime, c’est clair…

Adèle Blanc-Sec poursuit une lignée d’héroïnes marquantes de votre filmographie…

C’est un personnage à la fois super battant, masculin, anticonformiste, mauvais caractère. Et en même temps, si vous cassez la coquille, c’est une boule fondante de tendresse… Travailler ça au cinéma, c’est génial! Les personnages masculins des années 70-80, avec 60 de tour de bras et si possible pas plus de 5 répliques par film, ne m’ont jamais plu. Qu’est-ce qui est intéressant chez l’homme? C’est sa féminité, sa faiblesse, puisqu’on le dit sexe fort. Et qu’est-ce qui est passionnant chez le sexe que l’on dit faible? C’est sa force! J’aime voir un Léon bourru, analphabète, mais qui s’occupe très bien de sa plante et d’une petite fille. Ou à l’inverse imaginer que l’être suprême, qui doit sauver le monde, est une femme. J’ai toujours aimé jouer avec ça, et je continue en effet dans Adèle Blanc-Sec.

Qui dit personnage dit incarnation, exigence de trouver l’interprète, et pas une comédienne parmi d’autres. Comment êtes-vous venu à voir Louise Bourgoin comme une évidence pour Adèle?

Elle est très photogénique, déjà, ce qui est indispensable au cinéma. Elle a une voix très intéressante, et qui -par ses tonalités- fait un peu époque. Et puis surtout elle a un entraînement que je trouve parfait ( avant le cinéma, Louise Bourgoin a été la Miss Météo de Canal +, ndlr). Pendant 2 ans, d’être à la télé, inventive, rapide, de savoir réagir sur l’instant, c’est une formation idéale, qui vaut tous les cours de théâtre du monde. Certes, une formation qui n’a rien de classique. Mais je sais ce que ça fait chez quelqu’un. J’étais certain qu’elle serait très bien pour le film. Je ne l’ai pas rencontrée pour être sûr de ses qualités d’interprète, mais pour jauger ses qualités humaines. J’avais 8 mois de tournage devant moi, et ne voulais pas embarquer quelqu’un qui arrive en retard, qui porte tout le temps des lunettes noires et qui trimballe partout son entourage. J’ai rencontré une jeune femme bien dans sa tête, équilibrée, gentille, qui ne pense qu’à apprendre, qui n’a pas d’ego. Un vrai bonheur! Car on rencontre plus souvent l’inverse, des prétentieuses-capricieuses avec 3 couches de maquillage et 2 paires de lunettes…

Vous lui laissez beaucoup d’espace dans le film. Aux autres comédiens aussi, d’ailleurs…

Je ne sais pas si j’ai beaucoup de qualités comme cinéaste, mais j’ai au moins celle-là: de désacraliser complètement la caméra. C’est un morceau de bakélite qu’on pose par terre. Je n’en ai rien à foutre, au fond. On prépare beaucoup. On fait des lectures, puis des répétitions à plusieurs, puis avec des tables et des chaises, dans l’espace, puis en costumes, puis dans le décor. Et quand la caméra est là, en plus, la plupart des comédiens ne s’en rendent même pas compte. C’est comme ça qu’ils prennent l’espace! J’ai vu des tournages, comme assistant, où quand on arrivait sur le plateau avec la caméra, on avait l’impression d’entrer dans une église, avec un autel et le prêtre en blanc, les bras en l’air. L’horreur! Moi, je ne dis jamais  » Moteur« ,  » Action« , et tout ça. J’appuie sur le bouton et je tourne. Ils ne savent même pas quand je tourne, en fait ( rire)…

En adaptant la BD de Tardi, quelles ont été vos options quant à ce qu’il fallait garder ou au contraire laisser?

Il y a d’abord eu une période d’approche assez longue, pour que Tardi se sente en confiance. Je l’ai assuré que je respecterais l’ADN de ses personnages, mais pas le récit. Une bande dessinée se lit en 20 minutes, un film dure plus d’une heure et demie. Je change de forme, et je m’adresse à 95 % de gens qui n’ont pas lu la BD. Alors j’ai bien veillé à conserver l’ADN, et j’ai eu des mois d’échanges avec Tardi pour bien le capter. Mais après je m’en suis allé faire mon film. Comme un chanteur qui aurait demandé à Tardi de pouvoir faire une chanson inspirée par Adèle. l

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Rencontre Louis Danvers

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