LE RÉALISATEUR DES ADIEUX À LA REINE ADAPTE FIDÈLEMENT OCTAVE MIRBEAU POUR UNE VERSION DU JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE DONT LE JEU DE LÉA SEYDOUX SOULIGNE LA MODERNITÉ.

Publié avec le XXe siècle, le Journal d’une femme de chambre, d’Octave Mirbeau, avait déjà fait l’objet de deux adaptations cinématographiques et non des moindres, Jean Renoir (The Diary of a Chambermaid, en 1946, avec Paulette Goddard dans le rôle-titre) puis Luis Buñuel (en 1964, Jeanne Moreau incarnant cette fois Célestine), en livrant deux versions aussi différentes qu’essentielles. Benoît Jacquot a, pour sa part, choisi d’en revenir au texte, dans une transposition dont la fidélité n’exclut nullement la modernité. Soit un portrait de femme bien dans la lignée d’une filmographie ayant su, de La Fausse Suivante aux Adieux à la reine, revisiter avec bonheur le film d’époque. Et l’objet d’une conversation berlinoise feutrée…

Pourquoi avoir voulu tourner une nouvelle version du Journal d’une femme de chambre aujourd’hui?

Pour plusieurs raisons. Je connais bien les deux films issus de ce livre, le Renoir et le Buñuel, et ils sont si différents l’un de l’autre qu’un troisième n’entraînerait pas de comparaison, sinon anecdotique. Et puis, il y a le fait que l’état des choses en Europe, et en France particulièrement, est tel que les échos nous venant du début du XXe siècle -c’est-à-dire du moment où tous les discours induisant une ségrégation violente ont commencé à être mis en pratique, avec l’affaire Dreyfus spécialement- trouvent une résonance presque directe aujourd’hui. Cela m’intéressait beaucoup, comme cela m’a déjà intéressé de mettre en rapport un passé très précis avec un présent très actuel. Le temps et l’espace ne sont pas les mêmes, mais les ségrégations restent du même ordre: de classe, de race ou d’ethnie, et de sexe.

Avez-vous envisagé ce film comme une étude de caractère, sur la servitude en particulier?

C’est pour moi le fond du film. Il y a un personnage féminin, et il se trouve que sous nos latitudes, et aussi ailleurs, à peu près universellement, l’esclave idéal est une femme en général. Ce personnage, réduit à un esclavage salarié, mais qui reste un esclavage tout de même, est la perspective du film. Et la manière dont cette servilité contrainte produit quelque chose de terrible parce que, la plupart du temps, elle s’intègre subjectivement.

Célestine rejoint la galerie de portraits de femmes qui peuplent votre filmographie. Qu’est-ce qui vous ramène à cette figure?

Je ne sais pas. Tant qu’à demander à une actrice de jouer, autant s’y consacrer entièrement, et la faire parcourir le film du début à la fin. Cela m’intéresse beaucoup, et c’est l’une des raisons pour lesquelles, très jeune, j’ai voulu faire du cinéma. Et ça n’a jamais cessé. La plupart du temps, je pense à un film, avant même d’écrire un scénario, avec une actrice en tête, qu’elle ne soit pas encore connue, ou qu’elle soit extrêmement réputée. Je crois les avoir à peu près toutes filmées, il doit en rester une ou deux.

Qu’est-ce qui vous a convaincu que Léa Seydoux serait votre Célestine idéale?

La façon qu’elle a d’incarner une époque révolue, soi-disant passée, de façon parfaitement actuelle. Même si la langue n’est plus tout à fait la nôtre, même si ces robes seraient aujourd’hui des déguisements, elle donne le sentiment qu’on pourrait la retrouver là, à peine les lumières rallumées. Et pendant la projection, elle dégage le sentiment d’être d’aujourd’hui, même si tous les signes extérieurs sont d’époque.

Faire un film d’époque induit une série de contraintes. Une situation que vous appréciez?

J’aime bien, et cela vaut pour tout le cinéma, tirer parti de contraintes extrêmement pressantes pour trouver une singularité et une liberté. Je ne crois pas qu’on les obtient en roue libre, cela se travaille, et se conquiert. Le risque d’écrasement par les contraintes financières, artistiques, et de tous ordres, amène, si on a un certain désir, à trouver des raretés et des originalités, mais authentiques, parce qu’il a fallu les chercher.

Vous dites, dans votre note d’intention, être attaché à la notion de remake au cinéma. Pourquoi?

Le remake appartient à l’Histoire du cinéma. On refait un même film, de 20 ans en 20 ans, c’est assez fréquent, avec chaque fois des effets extrêmement intéressants. Cela donne le sentiment que le cinéma peut faire sa pâture et s’alimenter de tout, y compris ce qui a déjà été fait trois, quatre ou dix fois. Et qu’à chaque fois, c’est autre chose, parce que le cinéma est une capture du présent.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À BERLIN

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