SACRIFIÉE SUR L’AUTEL DE LA MODERNITÉ, LA CASSETTE AUDIO REVIENT SUR LA POINTE DES PIEDS. TENDANCE OU PHÉNOMÈNE DURABLE? VOYAGE AVEC BURGER RECORDS AU PAYS DE LA BANDE MAGNÉTIQUE, DU WALKMAN ET DE L’AUTORADIO DE PAPA…

On la pensait morte et enterrée. Tuée dans les années 90 par l’avènement du Compact Disc et définitivement incinérée il y a dix ans environ, quand l’arrivée du baladeur numérique lui fit perdre son ultime avantage en même temps que son dernier vrai marché. Encore prisée par les sportifs, cyclistes et joggeurs, parce qu’insensible aux chocs et vibrations sur appareils portatifs, la cassette semblait définitivement brûlée. Le support renaît de ses cendres et pas seulement dans les galeries d’art, sur les T-shirts et les étuis d’iPod. Il se vend, s’écoute… Et se fait l’accessoire de la branchitude, de la dèche, voire d’un acte presque politique.

Créé en 2007 sous le soleil californien, Burger Records est l’un des nombreux labels spécialisés dans la cassette audio. Rock, punk, pop, garage… Burger Records a sorti environ 200 groupes sur bandes magnétiques et produit 50 000 cassettes. Dans son catalogue, il a du Ty Segall, du Black Lips, du Michal Cronin, du Thee Oh Sees et des tas de groupes recommandables inconnus au bataillon (Pangea, Audacity, The Resonars, Cosmonauts…).  » On a juste sorti une quinzaine de vinyles et quatre CD, note Sean Bohrman, fondateur de la petite boîte basée à Fullerton. On vend 100 fois plus de cassettes que de Compacts Discs. »

Sean a lancé Burger Records avec son pote Lee Noise pour sortir la musique de leur groupe Thee Make Up Party.  » Quand on a vu combien il était facile de faire nos propres disques, on s’est mis en tête de sortir les albums des autres et on a décidé d’en faire des cassettes. Ce que plus personne n’entreprenait. »

Il a ainsi trouvé sa niche. Burger travaille avec quelques labels mais avant tout avec des groupes qu’il aime.  » On bosse par exemple avec Vice et SubPop. On sort des versions cassettes des disques qu’ils proposent en CD et vinyle. Ce support ne les intéresse pas et pour eux, ça fait de la publicité. Je pense que tout le monde s’y retrouve. C’est comme ça qu’on arrive à sortir beaucoup de choses qui ne devraient normalement pas être mises en licence. Quand tu parles de licence pour des cassettes, on regarde de l’autre côté. C’est une zone d’ombre pour les maisons de disques. »

Robuste, portable et bon marché

Inventée par Philips, la cassette audio a débarqué sur le marché dans les années 60. Dans les seventies, elle s’est imposée comme une alternative au vinyle et est devenue le support privilégié du mouvement Do it yourself qui pouvait à bas prix tendre le majeur à l’industrie du disque et aux labels. Elle a explosé dans les années 80 avec les heures de gloire du walkman et de l’autoradio (qui n’a jamais laissé fondre une cassette sur son tableau de bord?) pour devenir brièvement le format le plus populaire avant de s’éteindre sur l’autel de la modernité.

Le revival peut sembler surprenant mais le MP3 sonne mal. Alors pourquoi ne pas utiliser quelque chose qui sonne mal et qu’on peut tenir en main? Sa médiocrité sonore, la cassette la compense avec la possibilité pour le mélomane d’enregistrer et de partager la musique. Utiliser la cassette, c’est faire ses propres compilations, copier les albums qu’on aime, enregistrer la radio… Puis, si les chansons ne sont pas facilement accessibles, la cassette est quand même portable, bon marché, robuste… Son coût de fabrication (professionnelle s’entend) s’élève à moins d’un dollar. Burger les vend à 5.

 » Les cassettes sonnent mieux que les MP3. Je peux te graver un CD de n’importe quel album en 10 minutes. Ce ne sont que des bêtes copies. Il n’y a pas de feeling, de coeur. Puis contrairement aux fichiers, les cassettes, on peut les collectionner. Si tu sors de la bonne musique, les gens vont l’acheter, quel que soit le format. »

Burger Records fait fabriquer ses cassettes à Pasadena dans une société qui, il y a peu, était encore à l’agonie. Toutes les cassettes ne sont pas pour autant produites selon un procédé industriel. Celles de MonsterK7 sont recyclées. Les Français récupèrent des cassettes qu’ils rafistolent et sur lesquelles ils enregistrent leurs productions ornées de nouvelles étiquettes. Une démarche musicale, plastique et écolo… Chez les Canadiens de Scotch Tapes, on peut même parfois entendre la musique originale derrière les nouvelles chansons… Rendant forcément chaque exemplaire unique.

Parfois geek, le retour de la cassette est aussi symbolique. Il représente une forme de résistance aux renouvellements technologiques cycliques imposés par les entreprises de la musique et incarne un vrai signe de protestation contre la dématérialisation.

Le problème avec la cassette, c’est que ses lecteurs ont disparu. Ou du moins qu’ils se font de plus en plus rares. Ils ne sont plus jamais vendus dans les chaines hi-fi. Sony a arrêté la production de son fameux Walkman.  » Il y a des mecs qui les relient à leur iPod. Puis surtout, les jeunes ne s’achètent pas des voitures neuves. Ils trouvent des occases, utilisent des bagnoles dans lesquelles on trouve encore des autoradios cassettes. »

En 2005, fétichiste, Thurston Moore avait dirigé un ouvrage, Mix Tape, dédié à l’art et la culture de la cassette faite maison. Aujourd’hui, les Foo Fighters mettent en ligne un vieux concert enregistré à Reading via une interface ludique qui représente un bon vieux magnétophone et la possibilité d’avancer ou de rembobiner.  » On a récemment été contacté par Dave Grohl et Tenacious D« , avoue Sean. Il est définitivement temps d’aller faire un tour au grenier… l

TEXTE JULIEN BROQUET

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