LES ÉDITEURS DE POLARS ET DE BANDE DESSINÉE NOURRISSENT DÉSORMAIS DE VÉRITABLES PARTENARIATS. UN MARIAGE À TOUT POINT DE VUE LOGIQUE: ILS ONT GRANDI ENSEMBLE.

Il n’y a pas si longtemps, les polars étaient largement assimilés à des romans de gare, une infra-littérature vite lue, vite oubliée. Il n’y a pas si longtemps non plus, la bande dessinée était encore jaugée comme un art mineur, un sous-genre réservé aux enfants. On sait ce qu’il en est depuis: polars et BD sont aujourd’hui les stars et les mamelles de l’édition. Et partagent même leur couche: les uns y trouvent de nouvelles sources de revenus, les autres un stock quasi inépuisable de bonnes histoires déjà écrites, au succès presque garanti.

La Fnac de Liège, en partenariat avec le festival du film policier, vient ainsi d’organiser son 2e festival Sang Neuf, récompensant la meilleure BD polar de l’année. Dans la liste des nominés, tous les gros éditeurs: Casterman, Glénat, Vents d’Ouest, Dargaud, Lombard, Soleil, Futuropolis…  » La montée en puissance du genre dans la bande dessinée va de pair avec l’arrivée massive d’auteurs et d’éditeurs français dans le secteur », analyse le directeur des lieux et organisateur de ce prix, qui vient rejoindre les dizaines de manifestations consacrées chaque année aux 2 genres.  » Ils produisent énormément de titres, et ont une vraie culture du polar, de l’intrigue policière et du public ado/adulte. Le public, connaisseur, les suit en masse. »

De Dashiell Hammett à Tardi

Le flirt entre littérature policière et bande dessinée ne date évidemment pas d’hier. En 1934 déjà, Dashiell Hammett et Alex Raymond, futurs monstres sacrés dans leur genre respectif, s’associaient pour la série Agent Secret X-9. On y retrouvait toutes les fondations du roman noir, qui ont fait la réputation et l’aura de l’auteur du Faucon Maltais.

Cette culture du comics accompagne d’ailleurs la mode: les éditions Delcourt ont entamé avec leur collection Dark Night la publication des Vertigo Crimes de DC Comics, un catalogue de polars en BD réalisées par les meilleurs de sa gigantesque écurie. Plus proche de nous, Jacques Tardi est devenu un spécialiste du genre: après avoir transposé Léo Malet, Pennac ou Vautrin, le père d’Adèle Blanc-Sec multiplie les adaptations de romans de son ami aujourd’hui disparu Jean-Patrick Manchette, géant du roman noir. Le dernier en date, La position du tireur couché, est un chef-d’£uvre du genre. Plus classieux, François Rivière offre au meilleur d’Agatha Christie une série qui porte son nom. Mais c’est chez Casterman et Rivages que le principe semble le plus fusionnel, et le plus « win-win ». En associant noms, catalogues et auteurs, la maison historique de BD et l’éditeur de polars devenu phare écoulent désormais plusieurs titres par an. Des romans noirs mais graphiques aux noms ronflants pour tous les amateurs: Loustal et Dennis Lehane, Chauzy et Marc Villard, Marc Behm et Pinelli… Un catalogue jeune mais de grande qualité à défaut d’être toujours au niveau de l’£uvre originale. Mais qui met en tout cas les auteurs dans les meilleures conditions pour réussir une « bonne » adaptation. Christian De Metter, pilier de Casterman, est de ceux-là: il vient même d’achever sa 2e adaptation: Scarface, après Shutter Island. Deux tours de force, pourtant très différents.

« Pour adapter il faut trahir honnêtement »

« Mon éditrice m’avait vu passer quelques fois avec des Rivages sous le bras, explique Christian De Metter . Quand la collection a été lancée, ils ont alors pensé à moi, en me laissant choisir un livre. L’idée d’adapter, à la base, n’évoquait rien de particulièrement stimulant, mais l’univers de Rivages est si riche. Quel luxe! On est obligé de trouver son compte dans un catalogue pareil! » La lecture du Shutter Island de Lehane l’avait marqué. Dont acte.  » Une fois les droits obtenus, je me suis senti très libre. Lehane, que j’ai rencontré par la suite, m’a laissé travailler, en totale confiance. J’ai dû densifier le récit, couper beaucoup (j’ai moins de pages à ma disposition!), mais le livre répond à une mécanique très précise, avec une tension permanente. Il fallait surtout conserver la claque de fin et l’empathie totale avec le personnage. «  Une fidélité avec laquelle il a pris ses distances à l’occasion de son travail, graphiquement éblouissant, sur un 2e livre de la collection, Scarface.

 » Le livre d’Armitage Trail, en soit, n’est pas un excellent roman. Mais François Guérif (responsable éditorial de Rivages, ndlr) a eu raison de me le proposer: il y avait encore un peu de place pour moi pour y faire quelque chose, malgré les nombreuses références déjà existantes. J’y ai trouvé des thèmes plus ou moins développés qui m’intéressent et me travaillent: l’identité, la figure du frère, la question des racines… Il y avait ça dans Scarface , un univers plus qu’une histoire très précise.  » Le dessinateur s’est donc permis un véritable travail d’auteur.  » J’ai beaucoup réécrit et je ne pense pas avoir conservé un seul dialogue tel quel. «  Même la structure narrative, devenue une boucle dans son roman graphique, s’éloigne de son modèle.  » Mais les ambitions sont restées les mêmes: lorsque je m’attaque à un projet comme celui-là, j’essaie simplement de retranscrire ce que j’ai aimé, et moi-même ressenti. Pour adapter, il faut savoir trahir. Or la meilleure manière, la plus honnête, c’est effectivement de se l’approprier et retransmettre les émotions reçues. »

Christian De Metter ne semble en tout cas pas lassé du principe.  » Mon prochain bouquin? Je vais adapter un roman, et encore un polar: Piège Nuptial de Douglas Kennedy. Mais je vais le sortir dans une autre collection, le roman n’étant pas édité chez Rivages…  » l

TEXTE OLIVIER VAN VAERENBERGH

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