Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

JOEY BADA$$ A BEAU N’AVOIR QUE 20 ANS, SON RAP MULTIPLIE LES RÉFÉRENCES AUX ANNÉES 90. AVEC TALENT, MAIS SANS JAMAIS RIVALISER AVEC SES PRESTIGIEUX AÎNÉS.

Joey Bada$$

« B4.DA.$$ »

DISTRIBUÉ PAR SONY.

6

On l’a déjà écrit souvent: jeune « quadra », le hip hop a atteint aujourd’hui un âge qui lui permet de goûter ses premières bouffées de nostalgie. Il fallait bien que ça arrive. A force de recycler les autres musiques à travers le sample, le rap n’avait d’ailleurs aucune raison de ne pas piocher dans sa propre histoire.

Ces dernières années, personne n’a mieux incarné ce regard dans le rétro que le jeune Joey Bada$$. Né en 95, à Brooklyn, Jo-Vaughn Virginie Scott de son vrai nom a sorti sa première mixtape en 2012. Au programme, ni glitchs électroniques, ni programmations synthétiques cliniques. A la place, la mixtape baptisée 1999 multiplait les samples soul, et enfilait les beats rebondis fonctionnant à partir d’échantillons de vraies batteries acoustiques… C’est tout le rap de la Côte Est qui y était célébré. En particulier celui qui a marqué les années 90, moment souvent considéré comme l’une des périodes dorées du rap. En une mixtape, Joey Bada$$ s’improvisait ainsi en revivaliste de la scène « boom bap » (qu’il a à peine vécue)… Qu’il soit, par ailleurs, l’un des leaders d’un collectif baptisé Progressive Era (Pro Era) n’y change pas grand-chose: l' »ère de progrès » dont il est ici question n’a jamais tant été un pari sur l’avenir, que le rappel d’un des derniers moments où le rap se targuait de charrier une charge sociale et politique avant de virer au tout-à-l’entertainment…

Trois ans, et deux autres mixtapes plus tard, Joey Bada$$ enfonce le clou avec la sortie de son premier véritable album. La seule liste des crédits confirme la fixette du jeune rappeur. La production de l’excellent Paper Trail$ est signée DJ Premier, légende vivante, et moitié de Gangstarr, duo historique des nineties. Même le scratch, signature musicale disparue depuis longtemps des albums de rap, est ici distillé tout le long. Plus loin, le mélancolique Like Me s’appuie sur un beat de feu J Dilla, reconnaissable entre mille. Produit par Statik Selektah, N°99 joue carrément la citation en calquant le Scenario d’A Tribe Called Quest. Bada$$ élargit bien le champ de tir à l’une ou l’autre occasion (le trip jungle d’Escape 120). Mais en général, le compas reste braqué sur les nonantes glorieuses.

Il est par exemple difficile de ne pas entendre l’influence de Nas, qui a fréquenté les mêmes rues, les mêmes quartiers de Brooklyn, que Joey Bada$$. On peut pousser plus loin encore le parallèle. Pareillement précédé par le buzz, Nas avait également sorti son premier album à l’âge de 20 ans. Publié en 1994, Illmatic s’était cependant directement imposé comme un chef-d’oeuvre. A cet égard, B4. DA.$$ ne se hisse jamais à la hauteur des références qu’il convoque immanquablement. Est-ce pour autant un mauvais album? Certainement pas. Un disque trop long et copieux, oui, définitivement. Mais certainement pas un plantage. Joey Bada$$ réussissant même cette figure improbable -a fortiori dans un genre qui, plus que tout autre, cherche à se brancher sur le moment, sur l’époque- de sonner « classique », certes, mais sans tomber dans le vintage.

EN CONCERT AU FESTIVAL COULEUR CAFÉ, LE 1ER WEEK-END DE JUILLET.

LAURENT HOEBRECHTS

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