HANTÉ PAR LE DÉBUT DES ANNÉES 2000, EMILY IS AWAY TRACE LES CONTOURS D’UNE RELATION NON AVOUÉE, PAR ÉCRANS INTERPOSÉS. AUSSI ASCÉTIQUE QU’IMMERSIF.

Emily is Away

ÉDITÉ ET DÉVELOPPÉ PAR KYLE SEELEY, ÂGE NC, DISPONIBLE GRATUITEMENT SUR PC VIA HTTP://EMILYISAWAY.COM

8

Assoiffés de vie privée, les réseaux sociaux n’ont pas toujours régi les relations humaines du Net. Fin des années 2000, les messageries instantanées comme feu Live Messenger crépitaient ainsi sur les claviers. Le Web était alors suffisamment vaste pour être intéressant. Mais pas encore assez mainstream pour être infesté de trolls. Emily is Away plonge dans cette défunte période où l’on donnait son opinion sur des forums, sans être forcément menacé de mort. Certes, le jeu d’aventure textuel se fige autour d’un duo amoureux. Mais son gameplay cloisonné dans une fenêtre de chat d’AOL Instant Messenger(le concurrent de l’époque du Live Messenger) se dresse comme une reconstitution historique à fleur de peau.

Le doux sifflement d’un ventilateur qui s’éveille. Une colline au vert un peu surnaturel, en fond d’écran. Et quatre notes au synthé qui annoncent le démarrage de Windows XP. L’Emily is Away de Kyle Seeley brosse avec talent une intrigue amoureuse du début de ce millénaire. Face à emerly35, ce récit interactif glisse ainsi le joueur dans la peau d’un étudiant sur le point d’entrer à l’université. Divisés en quatre séances de chat tapissées de questions à choix multiples, les dialogues qui l’alimentent respirent le vécu de la génération Y. Moins de 30 ans, s’abstenir.

Fenêtre sur coeur

Nominé cette année à l’IndieCade de Los Angeles, le projet originaire de Boston n’est pas à proprement parler un jeu d’aventure textuel comme le légendaire Zork. Chaque phrase qui apparaît à l’écran se frappe automatiquement et se développe, quelle que soit la touche du clavier pressée. L’expérience gagne en fluidité. Si dérouler un jeu dans une simple fenêtre de discussion paraît à priori rébarbatif, le créateur indé attise la curiosité du gamer via une foule d’astuces.

Sur le point d’insulter le nouveau petit ami d’Emily, on voit ainsi le protagoniste effacer en temps réel des lignes entières de texte qu’il s’apprête à envoyer, pour ne pas la brusquer. Le fond de sa pensée amoureuse couchée avec tendresse sur l’écran subit aussi le même sort pour être remplacé par des réponses plus consensuelles. Distants de deux ans, les chapitres du jeu (étalés entre 2002 et 2006) tracent les vies mouvantes du duo. Et en filigrane, les goûts musicaux et cinématographiques du moment qui évoluent aussi.

Avant chaque séance, on choisit ainsi une icône d’avatar. Snow Patrol, Muse, 50 Cent mais aussi Le Seigneur des Anneaux sont résumés en quelques délicieux pixels qui feront même réagir la dulcinée non avouée. Mais le doute plane autour d’une soirée aux terribles sous-entendus. Revenir en arrière et donner d’autres réponses pour recoller les morceaux ramène inlassablement vers une fin tragique et inéluctable. Glacé comme un Blue Screen d’échec fatal.

MICHI-HIRO TAMAÏ

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content