Avec force

© SANS TITRE, SANS DATE, ACRYLIQUE SUR CARTON. COURTESY HOJDA ET NUNA STOJKA CEIJA STOJKA, ADAGP, 2017

À Paris, La maison rouge consacre une exposition au témoignage visuel bouleversant laissé par l’artiste rom Ceija Stojka. Naïf et puissant.

Z6399. Tel était le numéro de matricule qui lui a collé à la peau tout au long d’une existence à jamais déchirée par le bruit des bottes. De nombreuses photos témoignent de cet effroyable marquage qu’elle n’a jamais cherché à dissimuler. Elle n’avait que 10 ans quand l’encre des bourreaux s’est diffusée dans son bras gauche. L’histoire de Ceija Stojka se découvre comme un incroyable exemple de résilience. Née en Autriche en 1933, Stojka est la cinquième d’une fratrie de six enfants dans une famille rom d’Europe Centrale. Déportée avec sa mère Sidonie et d’autres membres de sa famille, elle a survécu à pas moins de trois camps de concentration: Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen.  » Je n’ai pas peur. Ma peur s’est arrêtée à Auschwitz et dans les camps. Auschwitz est mon manteau, Bergen-Belsen ma robe et Ravensbrück mon tricot de corps. De quoi faut-il que j’aie peur?« , a-t-elle écrit. Longtemps, elle a porté ce fardeau avec elle, dans le silence, comme le veut la loi tacite de la communauté tsigane: bouche cousue face aux « Gadgés », les non-Roms. Pourtant, à la fin des années 80, elle ressent le besoin d’une délivrance. Grâce à la réalisatrice et documentariste autrichienne Karin Berger, Ceija Stojka est l’une des premières à témoigner du « Samudaripen », le génocide des Roms par les nazis. On pense le savoir aujourd’hui: sur les 700 000 Tsiganes d’Europe, entre 300 000 à 500 000 auraient péri.

À hauteur d’enfant

Le témoignage de Ceija Stojka a d’abord été littéraire. À 55 ans, elle livre plusieurs ouvrages -quatre volumes au total entre 1988 et 2005- sur ce qu’a enduré son peuple. La peinture est arrivée par la suite, presqu’accidentellement. Début des années 90, des écoliers japonais lui demandent un souvenir. Alors qu’elle promet un dessin de ses petits-enfants, elle se ravise devant la moue déçue des gamins et décide de mettre elle-même la main à la pâte. Une fois la vanne ouverte, sa production ne se tarira plus. La maison rouge donne à voir 130 oeuvres réalisées entre 1990 et 2013 -on notera que son oeuvre peinte ou dessinée, réalisée en une vingtaine d’années, sur papier, carton fin ou toile, compte plus d’un millier de pièces. Le style clairement naïf chamboule le regardeur, celui-ci découvre la réalité des camps  » vue à hauteur de petite fille« , comme le précise le commissaire Xavier Marchand qui est par ailleurs directeur artistique de la compagnie Lanicolacheur dont l’engagement auprès des Roms ne s’est jamais démenti. Les oeuvres suivent un fil narratif évident, depuis la traque jusqu’au retour à la vie, en passant par les camps. Les couleurs directes et les cadrages frontaux font souffler le chaud et le froid sur le visiteur qui ne sort pas indemne de cette odyssée anxiogène. On redécouvre les corps amaigris, les tas de cadavres dans lesquels il fallait se lover pour ne pas mourir de froid, les visages distordus des kapos hurlant… Heureusement, il est également question du vert tendre des prairies, de la promesse de liberté des roulottes ou des liens familiaux indéfectibles.  » Si le monde ne change pas maintenant, si le monde n’ouvre pas ses portes et ses fenêtres, s’il ne construit pas la paix -une paix véritable- de sorte que mes arrière-petits-enfants aient une chance de vivre dans ce monde, alors je suis incapable d’expliquer pourquoi j’ai survécu à Auschwitz, Bergen-Belsen et Ravensbrück« , confiait-elle à la fin de sa vie. Le monde est instamment prié de découvrir cette oeuvre.

Ceija Stojka (1933-2013), une artiste rom dans le siècle

La maison rouge, 10 boulevard de la Bastille, à 75012 Paris. Jusqu’au 20 mai prochain.

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www.lamaisonrouge.org

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