EN ÉQUILIBRE FRAGILE SUR LE FIL TÉNU QUI SÉPARE SENS BIEN INVOLONTAIRE DU RIDICULE ET VÉRITABLE POUVOIR D’ATTRACTION, DOMINIK MOLL SIGNE AVEC LE MOINE UN DRÔLE D’OBJET FILMIQUE. CONFESSIONS.

Avec Le Moine ( lire la critique dans Focus du 08/07), Dominik Moll s’empare du livre de M.G. Lewis, £uvre phare du roman gothique publiée en 1796. Et signe un film aussi fascinant qu’empesé où le premier degré forcené confine parfois au kitsch. Un drame gothique en costumes et au ton solennel? Voilà qui semble singulièrement éloigné d’un Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) ou d’un Lemming (2005), les 2 précédents longs métrages, aux préoccupations toutes contemporaines, du réalisateur français. Sauf que les 3 films partagent une même volonté de déchirer le voile des apparences. De lézarder la grande façade du quotidien, fût-il de la fin du XVIIIe. Et, en définitive, d’ouvrir des brèches dans le réel pour y laisser pénétrer un sentiment, plus ou moins diffus, d’étrangeté…

D’où vous est venue l’envie de cette adaptation du Moine de Lewis?

Les sujets fantastiques m’ont toujours attiré. Après Harry, avec mon producteur on s’était d’ailleurs posé la question d’une nouvelle adaptation de Frankenstein. J’ai trouvé chez Lewis un plaisir très premier degré de narration, une évidente force visuelle, quelque chose qui se prêtait particulièrement à du cinéma.

Cette dimension fantastique était déjà présente, mais plus par la bande, dans vos films précédents…

Il y a chez moi cette volonté de jouer sur la frontière entre des choses ancrées dans la vie réelle et un possible basculement vers des choses plus irrationnelles. Et c’est en effet quelque chose qui va crescendo dans ma filmographie. Même si dans Lemming, déjà, il y a à un moment donné des événements qu’on n’arrive plus à expliquer de manière rationnelle: le personnage suicidé de Rampling prend possession du corps de Gainsbourg. Des préoccupations communes traversent mes films: à chaque fois, le protagoniste est quelqu’un qui se bâtit un système de fonctionnement rigide, avec des espèces de certitudes. Dans Harry, c’est un père de famille qui se dit qu’il vaut mieux s’arranger avec les tracasseries de la vie. Dans Lemming, quelqu’un qui a besoin que tout soit sous contrôle. Dans Le Moine, un homme dont l’existence est entièrement régie par la religion. Et à chaque fois, il y a des éléments extérieurs qui vont faire en sorte que ces édifices se fissurent, et finissent par s’écrouler…

La dimension gothique est très présente à l’écran…

Avant le roman de Lewis, les manifestations surnaturelles trouvaient toujours une explication rationnelle à la fin de l’histoire: tel fantôme c’était en fait le vent qui faisait bouger les rideaux, des trucs comme ça. Alors que dans Le Moine, il y a vraiment des fantômes, le diable… Ça faisait donc partie pour moi de l’intérêt du projet de jouer de ces éléments-là, de nourrir le film avec le cimetière, les gargouilles, les fantômes, la scolopendre, etc.

Certains passages du film prêtent un peu à rire, comme les apparitions des fantômes justement. Pourtant on ne décèle aucune distanciation…

Ça aurait été possible, voire tout à fait plaisant, de faire un film complètement décalé à partir du roman. Mais j’ai fait le choix d’être près des personnages sans les sacrifier sur l’autel de l’ironie, pour qu’on soit plus en empathie avec eux. Peut-être qu’effectivement ça peut prêter à confusion, que certains peuvent y aller en pensant que ça va être du second degré, parce que je joue avec des éléments de genre. Mais je me suis efforcé que ce ne soit jamais au détriment de l’histoire et des personnages.

Visuellement, le film est très soigné. Quelles en seraient les influences?

Obsession de Brian De Palma, peut-être, qui est lui-même très influencé par Vertigo. Des films qui ne sont pas dans un naturalisme pur et dur, où on a l’impression d’ouvrir les portes de l’inconscient…

Il y a un vrai travail sur la lumière aussi…

Oui, il y avait ce principe d’être dans des intérieurs très denses et des extérieurs très lumineux, presque aveuglants, de jouer sur ces contrastes-là. Et puis d’utiliser des procédés comme les ouvertures et les fermetures à l’iris qui accentuent ce côté antinaturaliste. L’idée c’était de ne pas avoir peur d’une certaine artificialité.

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT

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