Autopsie d’un naufrage

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

QUI SONT LES PIRATES DU NET? COMMENT L’INDUSTRIE MUSICALE N’A-T-ELLE PAS VU VENIR LA RÉVOLUTION MP3? RÉPONSES DANS UNE PASSIONNANTE ENQUÊTE, AUX AIRS DE THRILLER.

À l’assaut de l’empire du disque

DE STEPHEN WITT, ÉDITIONS LE CASTOR ASTRAL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR CYRILLE RIVALLAN, 304 PAGES.

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Le cas, exemplaire, date de pas plus tard que cette semaine. Pour pouvoir chroniquer le nouvel album du groupe Depeche Mode (lire page 32) avant son arrivée en magasin, la presse avait deux solutions. Soit se rendre à l’écoute organisée un mois plus tôt par la maison de disques dans un studio bruxellois (GSM aux vestiaires, interdiction de publier le moindre écho détaillé du disque avant sa sortie, etc.). Soit passer au bureau même du label pour s’avaler le CD au casque, d’une traite. Le but? Empêcher toute fuite. Et tant pis si les journaleux n’avaient qu’une seule écoute pour se faire une idée… Sauf que les précautions n’auront finalement pas servi à grand-chose. Plus d’une semaine avant la date de sortie officielle, Spirit était en effet facilement trouvable sur le Net. Même en 2017, plus de quinze ans après la première vague de piratage, l’industrie n’a toujours pas trouvé la parade… Quelqu’un quelque part a vendu la mèche. Où? Quand? Comment? C’est ce fil-là que remonte Stephen Witt dans une enquête captivante, parue en anglais sous le titre How Music Got Free.

Pour la petite histoire, les éditions du Castor Astral avaient déjà réalisé un joli coup avec la traduction française de Perfecting Sound Forever, autre ouvrage passionnant sur l’histoire du son enregistré. Avec À l’assaut de l’empire du disque, il est question cette fois d’une saga haletante sur le piratage musical. Fouillée, l’enquête de Stephen Witt s’articule autour de trois personnages principaux. Trois figures qui n’ont a priori pas grand-chose à voir entre elles, mais dont les décisions (ou les aveuglements) vont entraîner de lourdes conséquences. Il y a d’abord le savant lunatique, Karlheinz Brandenburg, ingénieur allemand qui mettra au point la technologie MP3, permettant de faire tenir l’information d’un CD sur un format douze fois plus léger. Et de la faire circuler d’autant plus rapidement sur le Net. De l’autre côté de l’Atlantique, Doug Morris incarne, lui, le nabab ultime, patron de la plus grosse major de l’industrie musicale, trop sûr de son pouvoir et du règne hyperlucratif du CD pour voir la catastrophe arriver. Enfin, à l’autre bout de la chaîne, Dell Glover est un simple employé intérimaire, protagoniste à l’allure bonhomme, qui deviendra pourtant l’un des principaux fournisseurs des groupes de pirates planqués dans les tréfonds du Net. À partir de ces trois parcours, Stephen Witt retrace ce qui apparaît par moments comme un véritable thriller politico-technologico-financier.

Au-delà des magouilles et autres coups tordus qui pullulent tout au long du livre, c’est la rapidité de la mutation qui fascine. En cela, À l’assaut de l’empire du disque est aussi un bout d’histoire de l’Internet. Une chronique revenant sur une époque pas si lointaine où, par exemple, télécharger un CD prenait plus d’une heure et où les premiers prototypes de baladeur MP3 avaient, littéralement, la taille d’une grosse brique. C’était il y a un peu moins de 20 ans. Autant dire il y a un siècle…

LAURENT HOEBRECHTS

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