Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DAVID GULPILIL MET BEAUCOUP DE LUI-MÊME DANS UN FILM ADMIRABLE, PLONGÉE DANS L’AUTRE AUSTRALIE, CELLE DES ABORIGÈNES ET DE LEURS RÊVES BRISÉS.

Charlie’s Country

DE ROLF DE HEER. AVEC DAVID GULPILIL, PETER DJIGIRR, LUKE FORD. 1 H 48. SORTIE: 29/04.

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Les temps sont difficiles pour Charlie. L’âge le diminue, l’alcool n’a pas arrangé les choses, et l’homme se retrouve un peu largué dans la communauté aborigène d’Australie profonde où il vit. Et puis il y a les lois des Blancs, qu’il n’a jamais totalement respectées. Et les Blancs eux-mêmes, dont certains sympathiques mais qui ne comprendront décidément rien à sa culture ancestrale et magique…

Réalisé par Rolf De Heer (lire son interview page 32), conçu et écrit par le réalisateur en tandem avec son acteur principal David Gulpilil, Charlie’s Country est l’une des expériences cinématographiques les plus singulières, fascinantes et aussi émouvantes qui nous soient parvenues ces derniers mois. Il nous emmène ailleurs, hors cadre, aux confins de l’Australie anglo-saxonne, celle des colons et de leurs descendants, celle des premiers habitants, différents non seulement par leur mode de vie mais également par leur mode de pensée, leur manière de voir le monde et de le rêver. Charlie a survécu entre ces deux pays, mais le moment se rapproche où il choisira le sien, quittant les balises et l’empire de la loi pour une liberté retrouvée. Un nouveau et ultime départ, le ramenant au lieu de ses origines, qu’il avait quitté dans des circonstances qui se rappellent à lui, douloureusement souvent…

Hors sol

De Heer et Gulpilil avaient déjà tourné ensemble le formidable et intense The Tracker (2002). Le comédien avait aussi fait la voix off du plus poétique Ten Canoes (2006) pour un réalisateur qui l’a sorti d’une profonde dépression et même de… prison, pour lui rendre dans Charlie’s Country la lumière qu’il avait fuie, incompris, comme hors sol entre ses racines aborigènes perdues et ce monde blanc qui en avait fait une star (Walkabout, The Last Wave, Crocodile Dundee, The Right Stuff, Jusqu’au bout du monde).

En mai de l’année dernière, David Gulpilil était sacré meilleur acteur dans la (vaste) section Un Certain Regard au Festival de Cannes. La même consécration l’attendait un peu plus tard au Festival de Montréal. Il est merveilleux que ces marques de reconnaissance internationale lui viennent en raison d’un film qu’il a co-écrit, et que nourrissent intimement sa propre histoire, son imaginaire retrouvé. L’itinéraire qu’emprunte Charlie’s Country est aussi celui d’un voyage intérieur. Qu’il nous soit tellement accessible, offert en partage, même si des mystères subsistent, est une preuve excitante du potentiel que recèle le cinéma quand un aventurier de l’humain comme Rolf De Heer tient la caméra.

LOUIS DANVERS

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