DEUX ANS APRÈS SHORT TERM 12, LE FILM QUI L’IMPOSAIT, ROOM CONFIRME L’EXCEPTIONNEL TALENT DE BRIE LARSON QUI, DANS LE RÔLE D’UNE JEUNE MÈRE SÉQUESTRÉE AVEC SON ENFANT, SIGNE UNE PRESTATION 24 CARATS, UN PREMIER OSCAR À LA CLÉ.

Brie Larson n’est pas du genre à musarder en route. Et sa carrière est là pour en témoigner qui, après les habituelles séries TV enquillées dès l’âge de dix ans, l’a vue grandir à l’écran à coup d’apparitions dans Greenberg, Scott Pilgrim vs the World, Rampart ou autre Don Jon. Une première consécration viendrait de Short Term 12, découvert en 2014 sous nos latitudes sous un titre seyant à merveille à la jeune femme, States of Grace. L’actrice n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, et la voilà aujourd’hui qui, à 26 printemps à peine, trône au firmament hollywoodien à la faveur de Room, le film lui valant un premier Oscar que nulle, pas même Jennifer Lawrence, ne songerait à lui contester -elle y est tout simplement phénoménale.

Un dharma précoce

Réalisateur de Room, Lenny Abrahamson vante le naturel chaleureux et enjoué de la comédienne. Et en effet, la jeune femme que l’on rencontre dans un hôtel londonien se révèle d’un abord agréable, évoquant son parcours avec une sincérité rafraîchissante dans un milieu où le formatage est la règle. Originaire de Sacramento, Brie Larson (de son vrai nom Brianne Sidonie Desaulniers) découvre, à six ans à peine, que son « dharma est de devenir actrice. Je ne sais toujours pas d’où cela m’est venu. Personne, dans ma famille, ne travaillait dans l’industrie du divertissement, je ne vivais pas à Los Angeles et donc pas cet environnement, mais je suis reconnaissante d’avoir été assez précoce pour le dire. J’ai alors suivi une année de cours d’art dramatique hebdomadaires. J’étais maladivement timide, et ma mère se demandait pourquoi je continuais à l’ennuyer avec ça, alors que je ne pouvais même pas avoir une conversation avec des gens. Mais petit à petit, j’ai commencé à obtenir des petits rôles dans des pièces locales, et à interpréter des monologues en public. Cela m’a permis de m’ouvrir, ce qui a surpris ma mère, même si, sur un plan personnel, je continuais à éprouver des difficultés à me faire des amies -une dichotomie ayant présidé à une bonne part de mon existence. »

Petite cause, grands effets. Quelques mois plus tard, sa mère embarque leurs maigres effets dans leur Mercedes, et emménage avec Brie et sa petite soeur à Los Angeles, histoire de favoriser son éventuelle carrière d’actrice. « Nous vivions dans un studio guère plus grand que la pièce de Room, le lit était encastré dans le mur, et nous n’avions presque rien, nous nourrissant de macaronis au fromage et de nouilles instantanées. Mais tant ma mère que moi, nous gardons un souvenir ému de cette période, un moment libérateur où j’avais l’impression de l’avoir rien que pour moi. Elle avait énormément d’imagination, on s’amusait et on jouait tout le temps, c’était une période fabuleuse pour l’enfant que j’étais. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que j’ai réalisé combien elle s’était employée à donner le change, alors que la situation était vraiment difficile. »

Leçon de plongée

Si Room se déroule dans un lieu confiné et déploie un monde imaginaire à hauteur d’enfant, la comparaison s’arrête là, cependant. Le contexte en est, en effet, autrement dramatique, le film racontant l’histoire d’une jeune mère (longtemps désignée sous le seul terme « Ma ») séquestrée avec son enfant, Jack, dans un cabanon de jardin -une histoire inspirée de fort loin de l’affaire Fritzl, un fait divers sordide qui avait défrayé la chronique autrichienne en 2008. Un rôle difficile, mais accepté en connaissance de cause, pour lequel l’actrice a payé de sa personne. « Je me suis préparée en conséquence, comme le ferait quelqu’un qui s’attaquerait à un raid dans l’Himalaya. J’ai rencontré un spécialiste des traumatismes, pour discuter de l’impact d’abus sexuels, mais aussi pour savoir comment le cerveau s’organise quand on doit vivre recluse dans une pièce pendant sept ans, et qu’il s’agit de survivre. J’ai également rencontré des médecins et des nutritionnistes afin de cerner les conséquences d’un manque de vitamines D en termes nutritionnels, mais aussi de l’absence d’effets comme une brosse à dents, du shampoing ou du savon pour le visage. J’ai voulu savoir comment la peau, les cheveux ou les ongles allaient réagir, surtout après sept ans. Et puis, ils m’ont donné divers conseils, et j’ai suivi un régime alimentaire strict tout en m’entraînant pour gagner du muscle et perdre de la graisse, sachant que sa seule défense était son corps, alors qu’elle s’emploie à rester alerte, en vie dans ces circonstances. Et puis, je me suis isolée pendant plusieurs semaines… »

L’une des clés d’un tournage forcément éprouvant, la comédienne raconte encore l’avoir trouvée en pratiquant… la plongée. « Je voulais établir des paramètres, et que les limites soient claires, et j’y ai trouvé une analogie parfaite, explique-t-elle. Quand on plonge, on ne peut pas se contenter de se présenter sur la plateforme, et de sauter dans l’océan. Il faut planifier et respecter un timing préétabli: plus on plonge en profondeur, moins on peut y rester longtemps; et plus on descend, plus il faut y aller lentement. Quand on était sur le point de tourner les scènes les plus difficiles, je pouvais facilement expliquer à Lenny et à l’équipe quels étaient mes paramètres: en fonction de la profondeur et de la noirceur, je savais si je pourrais tenir une heure ou quatre. Une fois les angles de vue établis, je plongeais au fond de cet océan, ils tournaient ce dont ils avaient besoin, et me laissaient le temps de remonter à la surface. Tout est devenu plus facile en procédant de la sorte, cela n’avait rien d’un processus abstrait épuisant, tout était clair. »

Le résultat est, en tout état de cause, saisissant. Bien servi, aussi, par l’incroyable alchimie qui l’unit à Jacob Tremblay, l’interprète de Jack, avec qui elle a passé trois semaines avant de s’immerger dans le tournage. Le lien les rapprochant est palpable à l’écran, n’étant pas étranger à la réussite d’un film dont elle confesse n’être pas sortie indemne. « J’ai voulu explorer certains aspects du film plus en profondeur, cela fait aussi partie de mon job. J’en ai tiré un immense respect pour ma mère. Tous les deux jours, je l’appelais en larmes pour lui demander pardon. Quand on ne l’envisage que dans une perspective d’enfant, on ne comprend pas toujours combien une relation peut être compliquée pour une mère. En faisant ce film, j’ai acquis un profond respect pour elle, et tout ce qu’elle a instillé en moi, le degré d’imagination qu’elle m’a donné. Et cette faculté qu’elle a eue de ne pas m’imputer nos difficultés. Ce fut une formidable leçon. »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Londres

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