Lara Leliane, une voix sans peur

Au fil de chansons tactiles et charnelles, Lara donne à sa pop des grandeurs mélancoliques. © AVANTGAND
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Flamande résidant en Wallonie, Lara Leliane sort en anglais Birdwoman, troisième album explorant aussi les veines sensibles des histoires de famille.

Elle habite un petit village du namurois, proche de la province du Luxembourg. N’ayant pas trop envie de mêler vies perso et pro, rendez-vous est donc donné dans la capitale de la Wallonie, Namur. En jeans et ensemble noir, Lara fait penser à une version libérée d’Amy Winehouse. L’ampleur capillaire peut-être. En plus jolie que la miss destroy britannique, elle dégage un sourire multiple. Façon commode d’amadouer une timidité qu’elle-même annonce parfois dévorante. À l’opposé d’une voix sans peur, qui colle à la rétine des échappées sentimentales entre chien et loup, aux intonations salées-sucrées, traquées de doute et d’amertume. Sur ce troisième album, elle a le culot de reprendre Wild Is the Wind, morceau de la fin des fifties, magnifié par les interprétations supérieures de Nina Simone et David Bowie. Lara (née en 1983) se plonge dans le titre, Everest du genre, avec les sensations d’un chant parfois mené aux limites du diaphane. Là où l’oxygène vocal devient rare. Outre l’écoute de l’album, le concert visible sur YouTube, donné l’été dernier dans un studio bruxellois, est un baromètre réaliste des capacités de Lara Driessens, son nom au civil. Du charnel et de l’évanescence. Sa fille, 13 ans, participe à la reprise d’un tube de Billie Eilish, confirmant que le talent vocal peut bien se transmettre. Avec aussi un accompagnement magnétique incluant le parfait violoncelle de Jean-François Assy, vu entre autres chez Daan et Bashung.

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Lhasa

Lara est de Boechout, en province d’Anvers. Elle a étudié la littérature anglaise et espagnole en français à l’ULB.  » Et puis, pour cause classique de rupture amoureuse, j’ai eu envie de quitter Bruxelles, de me retrouver plus à la campagne, en Wallonie, vers 2013. Ma maman n’est pas loin, ma petite soeur non plus. Même si là, l’idée est de repartir vers la capitale. Je suis un peu loin de tout quand même… » Lara a toujours écrit beaucoup: on l’imagine bien dans sa chambre ado, le carnet dévoré par les sentiments. Stages, cours de musique ici et là, un an de jazz à Laeken, autodidactisme poussé. Le chant est nourri, comme quasi toujours, par les semences familiales. Papa amène Joni Mitchell dans la sphère des musiques palpables, et puis toutes les paraboles du jazz et des musiques classiques. La fratrie de quatre enfants est nourrie de l’artistique des parents: le pater écrit beaucoup de poèmes et guide les gens dans l’architecture anversoise. Lara suit sa maman, pianiste aimant Bach et Debussy, dans les déménagements successifs, de Ninove à Blankenberge en passant par Zottegem. Tout cela amène Lara au label liégeois Home Records, qui lui offre d’enregistrer son premier album, Free (2015). En pochette, on la voit en petite visiteuse de la forêt, celle qui est derrière chez elle. Avec une belle photo en intérieur de disque où elle apparaît de dos, calée au milieu des arbres. Pour peu, on mangerait de l’imagerie new age. Mais non. Lara:  » J’habite à côté de ce bois depuis 2013, après avoir quitté Bruxelles… Le début, c’était de faire des chansons acoustiques, guidées par ma petite guitare, aidée par d’autres instruments. » La conversation amène naturellement le nom de Lhasa,  » une influence » , et même davantage puisque Lara a travaillé avec le mixeur de la défunte Américano-Mexicaine, Ryan Morey.

 » Je suis très contente de ce projet de troisième album, j’ai le sentiment qu’il va me permettre de me familiariser avec tous les mécanismes de promotion -Facebook, Instagram, YouTube-, de ne plus rester en retrait. Tout ça me donne beaucoup de joie. Il a fallu du temps pour que se fasse le déclic de me profiler. » Trentenaire qui vient de décrocher cette étrange chose qu’est le statut d’artiste après avoir égrené le tout et l’imaginable: donner des cours de néerlandais dans les entreprises, travailler dans des magasins bios, guider en trois langues à l’Euro Space Center.  » Je rêve en français et néerlandais. Avec ma fille, qui est dans une école d’immersion en anglais, on se retrouve à parler en français, même si je veux qu’elle ne perde pas le bilinguisme. » Là, l’épatante polyglotte Lara travaille déjà sur un quatrième album dans la langue de Macron et Molière:  » Depuis l’âge de 9-10 ans, je tiens des cahiers. J’adore la poésie et la littérature, comme Yeats. Là, sur Birdwoman , il y a deux textes en français, mais j’évite le néerlandais. Je ne ressens pas le besoin de choisir cette langue-là en musique. » Toujours dans une formation voix-guitare, Lara explore sa filière historique -celle de Joni Mitchell- et invite des instruments acoustiques à la rejoindre, la contrebasse, le violoncelle ou la harpe. Un terrain sensoriel toujours d’actualité sur cet album tellement attachant. Bizarrement, on pense au sens de l’abandon total, pratiqué par Nick Drake. Celui qui consiste à quitter le port pour dériver au gré des fleuves mélancoliques. Version femme flamando-wallonne évidemment. Qui mérite autant d’écoute que les plus célèbres Selah Sue ou Angèle, et qui a cette phrase:  » Dès qu’il fait clair, j’ai envie de chanter, je suis comme un petit oiseau. »

Lara Leliane, une voix sans peur

« Birdwoman »

Il a été enregistré dans le  » chouette petit studio » de son label liégeois, Home Records. Avec toujours l’ingé son et producteur Rudy Coclet. Chanson marquante? Daddy.  » Pour la première fois, j’ai essayé d’être la plus honnête dans mes lacunes, ma fragilité. C’est maintenant que j’ose parler de la souffrance, celle de ne pas avoir pu établir plus de lien avec mon papa. On n’a pas assez passé de temps ensemble quand j’étais petite. Maintenant, je peux juste l’accepter et le reconnaître. » On se laisse aller au fil d’autres beaux morceaux plus ou moins graves, baignés de féminité et de sensualité assumées. Affluents d’un sacré fleuve intranquille.

Distribué par Home Records. Le 13/05 à L’An Vert (Liège), le 21/05 à la Maison des Loisirs (Mont-Saint-Guibert), le 27/05 au CaliClub (Drogenbos). (***)

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