MARIE GILLAIN RENAÎT DEVANT LA CAMÉRA DE PHILIPPE LIORET POUR QUI ELLE COMPOSE UNE JUGE ENGAGÉE DANS UN COMBAT SOCIAL ET UN DRAME INTIME. UN RÔLE CHARNIÈRE, POUR UNE ACTRICE TOUCHÉE PAR LA GRÂCE.

« Ce n’était pas un film de plus. » S’étant retranchée du bruit dans les coursives du théâtre de Namur, Marie Gillain exprime, en une formule choisie, l’impact qu’a eu sur elle la lecture du scénario de Toutes nos envies, le nouveau film de Philippe Lioret. L’actrice y incarne Claire, une jeune juge engagée dans un combat social et juridique contre le surendettement, et confrontée à une maladie incurable. Un rôle à tonalités multiples donc, d’une complexité et d’une densité inusitées, avec lequel la comédienne a ressenti d’emblée une profonde intimité. « Cela fait très longtemps que je n’avais pas eu un choc émotionnel si fort en lisant un scénario. J’en ai quand même lu quelques-uns, et c’est rare d’avoir cette impression, comme dans le meilleur des polars ou le meilleur des romans, que plus rien n’existe alentour: il n’y a plus que l’histoire, et les personnages qui comptent. Ça m’a fait cet effet-là: j’ai refermé le scénario avec une émotion et une vibration très fortes et, évidemment, un écho intime. » Et d’en préciser les contours: « Cet écho, il n’est pas lié de façon spécifique à ce que je suis moi, Marie, dans ma vie. Mais c’est certain que 30 ans, c’est un âge charnière pour une comédienne, parce qu’il faut longtemps aux réalisateurs pour superposer 2 images, qui sont celle qu’ils ont de vous dans certains films, et puis l’image réelle d’où vous vous situez. On m’a proposé des rôles de jeune fille de 20 ou de 25 ans, mais pas des rôles de femme de 30 ans, qui avance dans la vie avec toute la vulnérabilité et la complexité que l’on peut avoir à cet âge-là. »

Révélée précocement -elle a 16 ans à peine lorsqu’on la découvre dans Mon père ce héros-, Marie Gillain s’est construite avec le métier d’actrice, comme elle ne se fait faute de le souligner. Lucide, elle s’empresse d’ajouter qu’un creux l’attendait forcément – « ce métier n’est fait que de ces alternances », observe-t-elle. Dans son chef, on y verra la conjugaison de films parfois malheureux, et de la persistance d’une image de jeune fille en fleur collant peu, pourtant, à la réalité de ses choix. « Mais c’est un peu l’image que j’ai pu donner au travers des interviews, ou de la nature qui est la mienne. »

Tripes sur table

A cet égard, Toutes nos envies ne lui vaut pas seulement un rôle étincelant, de ceux qui comptent dans une carrière, au même titre que ses prestations dans L’appât ou Le bossu, par exemple; il lui offre aussi l’opportunité de rectifier le tir: « Et c’est peut-être ça aussi qui m’a plu dans ce film: si je donne l’impression immédiate d’être quelqu’un d’assez joyeux et léger, je suis attirée par des émotions et des univers plus noirs, plus viscéraux, plus désespérés. Ce que j’aime, c’est les films de Bouli Lanners; j’aime tout, sauf ce qui est lisse. » Ce n’était pas pour autant gagné d’avance, et il lui aura fallu batailler avant de devenir la Claire de Philippe Lioret. « Je n’étais pas désirée sur ce film au départ, beaucoup d’actrices étaient mieux placées que moi, en termes de reconnaissance internationale ou de « bankability ». Et moi, je suis arrivée en n’ayant que mes tripes à mettre sur la table. Mais je me sentais forte de tout ce que j’ai pu vivre dans mon métier d’actrice: des moments de doute, de vulnérabilité, de remise en question en profondeur, qui ont fait que ce rendez-vous a été tellement fort pour moi. »

Comme un roseau

Encore devra-t-elle en passer par un parcours du combattant qui culmine lorsque, à la veille de partir au Mexique avec sa famille, Marie Gillain reçoit un appel du réalisateur lui annonçant, au débotté, vouloir la revoir le lendemain pour une énième séance d’essais. « On avait eu plusieurs étapes, des rencontres, des séances de lecture, et puis silence radio. Cela faisait à peu près 3 mois que cela durait, donc je lui ai dit: « Tu en es où, là, je ne comprends pas très bien ». Et lui: « J’en suis que je te vois demain.  » Je savais que c’était ma chance, et un rendez-vous avec moi-même d’une certaine façon. J’ai senti, après ces essais, que son regard avait vraiment changé. « 

Difficile, en tout état de cause, de ne pas rapprocher sa détermination de celle de Claire, la jeune femme à qui elle prête son intensité à l’écran – « Philippe Lioret a senti que j’étais peut-être ce même petit soldat, le roseau qui plie, mais ne rompt point… « , sourit-elle, en écho à la cause qu’elle défend ardemment devant sa caméra. « Je trouve le cinéma de Philippe Lioret fort parce qu’il arrive à nous intéresser à un vrai problème de société par la porte de l’intime et de l’émotion. C’est ça qui m’a donné envie d’en savoir plus, et j’ai été confrontée à la réalité de cette situation, de gens qui sont désespérés et humiliés depuis des années parce qu’ils sont complètement broyés par ces sociétés de crédit et par le surendettement. Ce qui se passe est scandaleux. Mais il faut aussi penser que grâce à des gens comme Etienne Rigal, le juge dont l’histoire a inspiré le roman d’Emmanuel Carrère à la base du film, les choses ont bougé, ils ont fait changer le système.  »

A cet égard, le précédent de Welcome, du même Philippe Lioret, est là pour suggérer que l’impact d’un film peut aussi déborder des salles de cinéma. « Je crois en tout cas à la faculté qu’a le cinéma de nous transformer, et de nous faire sentir différents à l’issue d’une projection. Et ça, c’est déjà énorme. Je fais partie de ces gens qui ont besoin d’un impact émotionnel pour avoir de l’empathie pour les autres. Et c’est ce que j’aime dans les films de Ken Loach, par exemple, qui savent nous ouvrir les yeux sur une réalité qui n’est pas la nôtre. Philippe Lioret est très fort pour cela aussi. «  Démonstration avec un film qui suit par ailleurs un arc intime douloureux avec une pudeur et une retenue appréciables, ce à quoi elle tenait par-dessus tout.

Garder le cap

Actrice finalement assez rare – « je n’ai jamais beaucoup tourné parce que j’avais envie de peser mes choix, c’est déterminant pour moi, c’est un genre d’exigence qui a toujours été la mienne »-, voilà sans doute Marie Gillain à un tournant de son parcours, ce film, où elle évolue entre grâce et maturité, ouvrant sur un large éventail de possibles. L’actrice concède d’ailleurs s’être rarement autant mis la pression, que ce soit pour être de l’aventure, ou pour l’accompagner une fois terminée. « C’est très important pour moi, relève-t-elle, avant d’ajouter, ravie et on le serait à moins: « Je suis fière d’avoir accompli ce chemin, mais aussi d’avoir rencontré Philippe Lioret, parce que c’est un sacré metteur en scène qui m’a donné sa confiance.  »

Le moment étant venu de prendre congé, et puisqu’elle faisait part, un peu plus tôt, de son plaisir de retrouver le public belge à la faveur du Festival de Namur, cadre de la rencontre, on lui demande encore où se situe sa belgitude aujourd’hui: « Etre Belge, ça représente une vraie mentalité, qui est comme une seconde nature. Il y a des années que j’habite Paris, mais je me suis toujours sentie comme les Belges ont pu se sentir longtemps par rapport aux Français, avec la nécessité de faire preuve de beaucoup d’autodérision. J’ai gardé un certain recul, et cette autodérision que je trouve importants dans notre métier. Pour moi, ma belgitude, c’est une forme d’authenticité. Et c’est aussi un cap à ne pas perdre.  » A son propos, Philippe Lioret évoque « une actrice étonnante, mais aussi une très belle personne ». On ne saurait mieux dire.

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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