Le Ministre des poubelles, immersion « dans un Kinshasa à la fois fascinant et repoussant »

Emmanuel Botalatala © Caroline Thirion
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le Ministre des poubelles de Quentin Noirfalisse est un documentaire épatant. Un portrait d’artiste révélant aussi Kinshasa, le Congo, l’Afrique.

Quentin Noirfalisse a l’enthousiasme communicatif. L’encore très jeune réalisateur (il est né en 1986) et journaliste belge a des étoiles dans les yeux quand il évoque sa rencontre avec Emmanuel Botalatala, et le tournage à Kinshasa de son premier long métrage, consacré à cet artiste hors norme. Le diplômé de l’IHECS, par ailleurs collaborateur du Vif-L’Express, avait déjà un rapport intime avec l’Afrique en général et le Congo en particulier. Auteur d’un mémoire de fin d’études sur la réinsertion des enfants soldats, stagiaire puis journaliste pour le journal indépendant de Bukavu Le Souverain, Noirfalisse n’avait jamais vécu dans la capitale mais dans l’est du pays avant de connaître celui qu’on appelle Le Ministre des poubelles. « C’est sur Internet que j’ai découvert son travail (un tableau représentant un homme en forme de continent africain et qu’il avait intitulé Pélerinage vers un hypothétique état de droit), se souvient le réalisateur, et c’est encore via Internet que j’ai d’abord correspondu avec lui. Notre première rencontre réelle date de février 2014. Je suis parti au feeling, d’abord tout seul pour 3 semaines-1 mois, puis je suis revenu avec un ami cadreur et un autre qui n’est pas preneur de son mais qui ferait le son quand même (rire)! »

Le Ministre des poubelles est le premier documentaire de long métrage produit par Dancing Dog, que Quentin Noirfalisse a créé avec quelques amis alors qu’ils étudiaient à l’IHECS. D’abord collectif vidéo puis -depuis 2014- société de production à part entière, il s’y développe des projets interrogeant la société comme, entre autres, un film sur l’épais silence entourant les victimes de l’amiante dans le monde.

Quentin Noirfalisse, au centre.
Quentin Noirfalisse, au centre.

Le film sort en plein débat (devenu aujourd’hui tragique) sur l’hypothèse toujours repoussée d’une transition démocratique au Congo. Au moment du tournage, ce sujet crucial « bruissait déjà », se rappelle Noirfalisse. Et ce « dans un Kinshasa tout à la fois fascinant et repoussant », une ville où le réalisateur a « d’emblée perçu la saleté, la pauvreté, mais aussi une autre chose palpable: cela semble bloqué mais en même temps cela bouge tout le temps, dans une activité débordante, avec des jobs qu’on ne voit pas ici comme les pousse-pousseurs qui transportent des choses sur des distances énormes, et les marchands de lunettes ambulants promenant leur marchandise accrochée à des planches de frigolite… Au milieu de ce tohu-bohu, Botalatala essaie de faire quelque chose qui relève à la fois de l’ambition personnelle et du témoignage (il a une carrière d’artiste, nourrie par son vécu, ses voyages depuis la forêt tropicale à 300 km de Kisangani où il est né, par son expérience des guerres et des massacres). Il aurait pu faire de la politique, je crois. Il exprime un message indépendant des partis, des églises… Et il le fait avec l’originalité de matériaux récupérés, avec un charisme intéressant et, autour de lui, tout un écosystème, un microcosme reflétant l’ensemble des problématiques générales à Kinshasa: les rapports entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les vieux, la transmission et le chômage endémique (entre 50 et 90 % des jeunes), la débrouille car le travail accessible se déroule de manière informelle. Ici, on doit s’inventer un avenir. » Quentin Noirfalisse a appris le lingala pour non seulement interroger proches et collaborateurs de Botalatala, « mais aussi parce que je pensais très important de comprendre ce que les gens se disent entre eux, pour savoir que oui, là, il y a quelque chose qui se passe, et dire à mon cadreur de continuer à filmer. »

Perestroïka

Emmanuel Botalatala aime le mot « dialogue », et parle sans cesse avec les gens, ce qui a rendu le tournage parfois compliqué, « car il fallait capter le bruit politique de la rue. » « Je ne voulais pas poser de réflexion artistique (je ne suis pas critique d’art) mais plutôt exposer un fragment de vie, m’installer dans la durée (tout le contraire d’un reportage) pour faire un vrai film avec 3 ans de tournage pour suivre l’évolution des gens et des choses, pour apprendre en même temps que montrer. » Quentin Noirfalisse s’est refusé à toute fictionnalisation. Il a juste laissé s’exprimer « la théâtralité réelle et authentique d’un Kinshasa où plein de gens se mettent en scène, les « sapeurs » bien sûr, les musiciens aussi et un peu tout le monde en fait. » Et la place de la caméra, cette caméra étrangère qui, sous Mobutu, aurait été interdite? « Il reste de cette époque l’idée que les Blancs viennent voler les images, filmer les gens dans des situations parfois difficiles, et cela peut être source de friction », explique le cinéaste belge qui a fait le choix « de ne pas filmer de trucs choquants, comme les rivières pleines de détritus… » Le Ministre des poubelles se veut utile aux autres, à la société, à son peuple. « Il a la conviction profonde que dans l’oeuvre rien n’est plus important que le message, commente Noirfalisse, et il a trouvé le concept pour le faire passer comme aucun autre artiste congolais ne le fait par ailleurs. Il parle de son travail comme d’une forme d’histoire -celle, récente, de son pays. » Et Quentin Noirfalisse de révéler (la scène n’est pas dans le film) que Botalatala a vécu comme un choc la Perestroïka en URSS (1). « Car l’Afrique aussi a vu un mur tomber. Il dit que les citoyens africains peuvent sentir ce qu’il appelle  » le vent du changement  » et qui est toujours en cours. Il dénonce notamment la violence, en utilisant beaucoup la couleur rouge pour figurer le sang, et aussi une coopération Nord-Sud qui a mené à l’accaparement des richesses par certains. »

(1) Nom donné aux réformes économiques et sociales opérées par Mikhaïl Gorbatchev d’avril 1985 à décembre 1991.

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