Apocalypse now?

Croisant préoccupations historiques et formelles, un ouvrage fouillé s’intéresse à la mort au cinéma et règle la question de la mort du cinéma.

Le cinéma est mort, vive le cinéma

En 2020 et 2021, les salles de cinéma ont baissé le rideau pendant de nombreux mois pour la première fois de l’Histoire, ouvrant ainsi sans le vouloir une voie royale aux plateformes de SVOD et à la petite expérience individualisée et hygiéniste de salon. Nombreux sont ceux alors qui ont prédit, parfois non sans une certaine délectation d’ailleurs, que les salles ne s’en relèveraient pas, et qu’un certain modèle d’exploitation avait peut-être définitivement vécu. Or, ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, que l’on annonce la mort prochaine et imminente du cinéma. Paru au printemps chez Gallimard, un livre tombe à point nommé pour tacler cette prophétie funeste et imbécile. Il est signé Antoine de Baecque, historien et critique, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma mais aussi des pages culture du journal Libération.

Faisant suite à L’Histoire-caméra, ouvrage dans lequel de Baecque se penchait sur le rapport que le cinéma entretient avec l’Histoire, Le cinéma est mort, vive le cinéma voit cette fois l’auteur s’intéresser au rapport que celui-ci entretient avec la mort. Deux axes de pensée se dégagent et s’entrecroisent ici. Le premier concerne la mort proclamée du 7e art à chacun de ses bouleversements techniques: passage du muet au parlant, arrivée de la télévision, apparition de la vidéo puis du numérique… Le second, quant à lui, a trait au principe même du cinéma de faire vivre les morts, de les ressusciter et de résister au temps. Dans la foulée, l’auteur s’interroge: comment filmer l’horreur, les guerres, la violence de masse? Se gardant bien d’apporter des réponses toutes faites, de Baecque choisit de s’attarder sur deux moments-clés inscrits au confluent du cinéma et de l’Histoire: d’une part, l’apparition des caméras sur les champs de bataille et dans les tranchées de la Grande Guerre, et, d’autre part, celle des films s’attaquant à la question cruciale de l’Holocauste. Comment représenter l’extermination? Pour de Baecque, comme pour d’autres avant lui (voir le texte culte De l’abjection de Jacques Rivette dans les Cahiers à propos du fameux travelling du Kapo de Gillo Pontecorvo), le cinéma est avant tout, en la matière, affaire de morale. Nuit et Brouillard d’Alain Resnais (1956) et Shoah de Claude Lanzmann (1985) rayonnent à la manière d’indiscutables phares dans la nuit. Puis c’est au tour de Godard, évidemment, de s’en mêler avec les fulgurances qu’on lui connaît…

Apocalypse now?

S’intéressant notamment encore au Fils de Saul de László Nemes (2015) et même, plus étonnant, au cinéma de James Cameron, l’ouvrage, assez incroyablement documenté, et par ailleurs richement illustré, puise son indéniable force dans la double perspective -historique et esthétique- qu’il adopte, et brille par une belle intelligence théorique mais aussi un vrai sens de la formule. Ainsi, par exemple, quand de Baecque évoque la disparition du cinéma muet, alors à son apogée stylistique:  » La fin du muet est une Atlantide engloutie. » Passionnant.

LIVRE D’Antoine de Baecque, 368 pages, éditions Gallimard.

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