L’ANCIEN BASSISTE DE WOODS KEVIN MORBY, QUI PASSERA LE 7 MAI PAR L’ATELIER 210, RACONTE SON PARCOURS ET SON TROISIÈME ALBUM, LE SPLENDIDE SINGING SAW, À TRAVERS SA DISCOTHÈQUE ET SES AFFINITÉS MUSICALES. MORBY STAR…

Il y a moins d’un an, le génial Kevin Morby nous tirait son autoportrait à une terrasse gantoise. Le natif de Lubbock, comme Buddy Holly, revenait sur son expérience dans Woods, son duo, The Babies, avec Cassie Ramone des Vivian Girls, et son irrépressible bougeotte. Alors que sort son troisième album solo, le formidable et soigné Singing Saw, Boucle d’or partage ses coups de coeur, ses influences et ses amitiés mélomanes.

Sur ce nouvel album, tu élargis ton spectre musical. Quels sont tes albums de piano préférés?

J’en ai deux. The Boatman’s Call de Nick Cave. Mais aussi le numéro 21 de la Collection Ethiopiques consacré à Emahoy Tsegue-Maryam Guèbrou. L’humeur de ce disque de Nick Cave est juste incroyable. C’est vraiment une parenthèse dans sa carrière. Tout le reste est très théâtral et sombre mais The Boatman’s Call se révèle juste d’une inimitable beauté. L’Ethiopiques est assez dingo. Différent de toutes les manières de jouer du piano que j’ai pu entendre. C’est très rapide. Ça crée un monde. Un environnement. J’adore aussi le Silk & Soul de Nina Simone. Ces trois disques m’ont amené à un instrument que je connaissais finalement assez mal. Le piano est un outil plus agressif que la guitare pour composer. J’aime déjà le fait qu’il soit percussif. De manière générale, il m’a ouvert de nouveaux territoires. La gratte était presque devenue ennuyeuse. Je ne la connaissais que trop bien. Je me dirigeais instinctivement vers des trucs trop évidents. Le piano, c’était un nouveau langage. Quelque chose de neuf et d’excitant. J’y suis arrivé par accident. La fille qui y habitait avant nous l’a laissé dans l’appartement où je me suis installé avec ma petite amie. C’était un cadeau de son ex et elle ne voulait plus en entendre parler… Quand j’ai bossé sur les démos des chansons, j’ai parfois écrit à la guitare mais je composais aussi des lignes de piano pour les accompagner. Puis, je prévoyais une place pour les cuivres.

Tu as rencontré le producteur de Singing Saw sur la recréation de The Complete Last Waltz. Quel est ton disque favori de The Band?

Son Greatest Hits… Je suis très best of quand on parle de The Band. Mais sinon, j’épinglerais Stage Fright. Un promoteur que je ne connaissais pas m’a contacté pour une recréation de son concert d’adieu donné à San Francisco en 1976, le jour de Thanksgiving. Son idée était de rassembler des musiciens de scènes différentes. Je ne connaissais pratiquement aucun des autres participants à part Cass McCombs que j’aime beaucoup. Cet événement a rassemblé des musicos de styles et de calibres fort divers. C’était excitant de participer à un tel projet. Et ça m’a fait comprendre que je pourrais faire de la musique plus ample et orchestrée. On a donné une seule représentation de trois heures. Upstate New York. J’ai rencontré des gens. Je me suis fait des amis. Et le chef du groupe, Sam Cohen, a fini par produire mon album. Sam venait de sortir un disque solo. Il l’avait enregistré lui-même et il sonnait super bien. Il est en contact avec beaucoup de musiciens. Alors quand je lui disais que je voulais tel son, il me répondait à chaque fois la même chose: « Je sais exactement qui appeler. »

Meilleur disque à cordes?

Astral Weeks de Van Morrison et Sometimes I Wish We Were an Eagle de Bill Callahan. Astral Weeks peut ressembler à de l’impro, avoir une ambiance de jam, il n’en est pas moins d’une infinie beauté. Pour Bill Callahan, je trouve que les cordes marchent super bien avec sa voix. Elles sont comme une calme réponse à son doux timbre. Si je me souviens bien, c’est Tim Presley (White Fence, NDLR) qui me l’a fait découvrir…

Quel est pour toi l’album new-yorkais par excellence?

Je pense que je dirais Chelsea Girl de Nico. Ce disque représente vraiment New York à mes yeux. Les premiers mois que j’ai passés en ville, quand j’y suis arrivé à mes 18 ans. C’est l’album que j’écoutais en boucle à l’époque. Il s’appelle Chelsea Girl, comme le quartier, et il a été écrit sur Big Apple. Je l’associe vraiment au fait d’y avoir emménagé. J’avais pris un train au Kansas pour y aller. Ça devait mettre deux jours j’imagine. Et je n’ai fait qu’écouter ce disque pendant le trajet et lors de mes premières promenades.

Quel est celui qui représente le mieux ta nouvelle ville d’accueil, en l’occurrence Los Angeles?

Je dirais Kendrick Lamar. Good kid, mA.A. d City. Ça fait trois ans que j’écoute ce disque dans ma voiture. Je ne suis pas une encyclopédie du hip hop. Je m’y connais nettement moins en rap que dans plein d’autres styles de musiques. Mais j’aime ça. Le hip hop n’a pas été important pour moi en tant qu’adolescent. Je m’y suis davantage intéressé à l’âge adulte. Quand je me suis penché sur la production. Les meilleurs producteurs viennent du hip hop. J’ai eu ma période Illmatic de Nas quand j’avais genre 20 ans. En plus, j’habitais juste à côté du pont du Queens. J’adore le fait que le hip hop puisse incorporer autant de choses différentes. Tu y trouves des samples de jazz, de soul, de musique classique…

Mon quartier, comme une bonne partie de Los Angeles, est majoritairement hispanique. Il y a moins de coins black à L.A. qu’il n’y en a à New York ou Kansas City. Ma vie à Los Angeles est plutôt du genre isolée et solitaire. Elle est très calme. C’est pour ça que je suis parti m’y installer. Mais je lis beaucoup les journaux. Et ces dernières années, la violence policière envers les Afro-Américains est constante… I Have Been to the Mountain est née du sentiment d’impuissance et de désespoir après la non-condamnation du flic qui a tué Eric Garner. Je n’ai pas lu Une Colère Noire: lettre à mon fils de Ta-Nehisi Coates. Mais ça me fait penser à The Fire Next Time de James Baldwin qui est mon auteur préféré. Lui, il avait écrit à son neveu.

Quel est ton disque politique préféré?

The Freewheelin’ Bob Dylan. J’aurais pu te dire The Times They Are a-Changin’ mais le premier que j’ai écouté étant gamin c’était The Freewheelin‘, et ça a vraiment ouvert mon esprit à une nouvelle façon de penser. Je pourrais aussi citer des disques de Crass. Ou n’importe lequel des Woody Guthrie. Ce sont des classiques. Ça peut donc sembler un peu con de parler de la sorte. Mais quand j’ai entendu ces morceaux à 15 ans, Hard Rain’s a-Gonna Fall, Ballad of Hollis Brown, ça m’a renversé. Je me suis dit: ah ouais, on peut chanter d’autres choses que l’amour et la tristesse et en plus, il y a moyen de rendre tout ça poétique. Je ne suis pas opposé à l’idée de devenir plus engagé avec le temps. Si ça vient à moi, pourquoi pas. Mais je ne me suis jamais assis en voulant écrire un certain type de chanson. Qui sait? Si Donald Trump venait à être élu, ça viendra peut-être plus vite que prévu. Est-ce que ça pourrait arriver? Bien sûr. Toute sa campagne ressemble à une vaste blague. Lui aussi. Et une mauvaise, d’ailleurs. Mais il gagne des primaires. C’est vraiment effrayant. Je me souviens que l’élection de Bush était il y a quelques années un scénario cauchemardesque. Mais ce n’était rien comparé à ce qu’on risque aujourd’hui.

Quels sont les premier et dernier albums que tu as achetés?

Le dernier, je vais vérifier tout de suite (il fouille dans son téléphone, NDLR). Chet Baker Sings. A Amsterdam. Là où il est mort. Je ne fais pas les magasins. Je l’ai acheté sur iTunes. Je voyage trop pour trimballer des disques de ville en ville. Quand je suis en tournée en tout cas, c’est pas possible. Et donc, oui, je lie ces achats à mes déplacements. Je ne sais pas ce que je pourrais acheter à Bruxelles. Quant à mon tout premier disque, c’était le premier Third Eye Blind et ça a changé ma vie. Je l’adorais. J’avais 8 ans. Je l’avais acheté avec un magazine…

Meilleur disque de chez Dead Oceans, ton nouveau label?

Je dirais Muchacho de Phosphorescent. Dead Oceans est le premier label qui a manifesté son intérêt. Je n’avais pas envie de signer avec quelqu’un qui n’en aurait plus rien à foutre de moi après six mois et je ne voulais plus continuer avec Woodsist. Je tenais à changer. A trouver une plus grosse structure. Je n’avais sorti des disques que chez eux. Jeremy (Earl, son patron et le leader de Woods, NDLR) est resté l’un de mes meilleurs amis. On va sortir un truc ensemble. Une songwriter de Los Angeles.

Un trésor caché à conseiller?

Bill Fay. Time of the Last Persecution. Tout est magnifique dans ce disque. Fay n’a sorti que deux albums au début des années 70 et n’a rien fait pendant pratiquement 40 ans mais il est aujourd’hui distribué par Dead Oceans. Il a 60 ou 70 piges. A l’époque, ses deux albums n’ont pas marché. Son label n’était plus trop intéressé et il a abandonné. Tu te rends compte que souvent les carrières dépendent des circonstances. Qu’il faut, aussi, de la chance pour réussir. J’aime quand les auteurs parlent de leur écriture. Partagent leur expérience. Leur méthode. Pour la plupart d’entre eux, il faut écrire un petit peu tous les jours et de bonnes choses finiront par en sortir. C’est comme ça que je me comporte avec ma musique. Je reste actif. Si tu es en mouvement, si tu te montres positif et produis de la qualité, les opportunités vont finir par te trouver. La surproduction peut se révéler dangereuse mais regarde un mec comme Ty Segall, ça marche plutôt bien pour lui. Il faut juste s’assurer qu’il y a quelque chose de nouveau pour l’auditeur. Quelque chose qu’il va trouver excitant. Il y a tellement de musique. Partout. Tout le temps.

Quel est ton album préféré de Neil Young?

Je pense que je vais dire Harvest. J’avais 17 ans. Ma petite amie me l’a offert pour mon anniversaire. Je trouvais Neil Young OK jusque-là. Or quand j’ai entendu ce disque, je suis irrésistiblement tombé sous son charme. Il incarne la simplicité mais une simplicité géniale.

Meilleures musiques de film?

La BO de Rushmore était parfaite. Il y avait les Kinks, les Stones. Sinon, je viens juste de voir The Revenant. J’ai trouvé ça super beau. Tu as l’impression d’être dans un clip de trois heures. L’an dernier, j’ai aussi regardé It Follows qui avait une super soundtrack. Mais la bande originale du biopic sur Basquiat reste l’une de mes préférées. Les BO ont été importantes dans ma découverte de la musique et ce depuis que je suis tout petit. Quand tu es gamin, c’est un super moyen de dénicher des chansons. J’adorais la musique de Jurassic Park et du Roi Lion.

Ta chanson Drunk and On a Star a été inspirée par St. Ides Heaven. Ton album préféré de feu Elliott Smith?

XO. En fait non. Either/Or. Mais je n’ai pas découvert Elliott Smith avec le film Good Will Hunting. C’est encore la même fille qui me l’a acheté. Les trois meilleurs moyens de découvrir de la musique, ce sont les filles, les films et Tim Presley. Smith était un incroyable songwriter. Il m’a démontré qu’on pouvait créer un monde pareil juste avec une voix et une guitare. Il est mort en 2003. J’avais quinze ans. Lui devait en avoir 35 ou un truc du genre. Mais je le trouvais vieux. Quand tu es ado, tout le monde te semble vieux mais aujourd’hui ma petite amie a 37 balais. Enfin bref. Il a une chanson intitulée St. Ides Heaven et j’ai voulu écrire un morceau qui lui soit similaire. Un morceau qui célèbre la beauté de la picole. Je ne bois pas énormément mais quand je le fais, je me retrouve dans ce genre d’état. Songeur et rêveur.

LE 07/05 À L’ATELIER 210 (BRUXELLES).

ENTRETIEN Julien Broquet

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