BRILLANT, AGAÇANT, BOULIMIQUE, FRANÇOIS BÉGAUDEAU EST UN ANIMAL LITTÉRAIRE AU SANG CHAUD. IL SE LANCE AUJOURD’HUI DANS LA BD AVEC UN (ANTI)MANUEL DE LA DRAGUE AU XXIE SIÈCLE. PORTRAIT À ÉBULLITION.

Ce qui est bien avec François Bégaudeau, c’est que ce ne sont pas les prises qui manquent pour agripper sa bio. Romancier (Entre les murs, La Blessure, la Vraie…), musicien (le groupe punk-rock Zabriskie Point), chroniqueur (pour Le Monde notamment), journaliste (entre autres ciné dans le magazine Transfuge, dans Les cahiers du cinéma ou dans So Foot), réalisateur de docs, et même acteur (dans Entre les murs de Laurent Cantet, Palme d’or à Cannes en 2008): cet agrégé de Lettres modernes de 42 ans a touché à tout ou presque.

En signant aujourd’hui sa première BD en tandem avec Clément Oubrerie, Mâle occidental contemporain (lire critique page 47), portrait d’un dragueur complètement paumé dans le nouveau jeu de quilles sentimental, il rajoute encore une ligne à un CV long comme une nuit d’insomnie. Sous les dehors d’une comédie poilante, l’occasion de dézinguer quelques idées reçues. Car le polémiste n’est jamais loin de l’encrier chez cet anar à la bouille juvénile. Un pied dans cette culture à la française qui lui a donné le goût du verbe, l’autre dans la modernité anglo-saxonne qui lui a décrassé le moteur, il assume avec panache une schizophrénie qui rue dans les brancards de la bien-pensance. Même pas besoin d’étincelle, il s’embrase au contact de l’air… du temps.

La BD. « C’est un art que j’aime bien, ça m’avait traversé l’esprit quelques fois de m’y essayer. Quand une éditrice chez Delcourt m’a tendu la perche, je n’ai pas hésité longtemps. J’ai découvert la BD contemporaine par l’Association quand j’avais 25 ans, assez tardivement donc. C’était ce qu’il y avait de plus littéraire en BD. Je découvrais d’un coup une passerelle entre le roman et les souvenirs des albums de l’enfance. »

Les fantasmes. « Je n’ai pas profité de la BD pour réaliser des fantasmes. Ou alors ce serait plutôt des anti-fantasmes vu que ça ne se passe pas toujours très bien pour Thomas, le personnage principal. J’aimerais pourtant avoir son audace. Il tente des choses. Par exemple, j’ai toujours voulu participer à un speed dating mais je n’ai jamais osé franchir le pas. On ne s’en donne pas nécessairement le temps, l’énergie et les moyens, et puis c’est une méthode qui fait un peu peur. On se demande sur qui on va tomber, on se dit que ça va être foireux… C’est moins la connexion sexuelle qui m’intéresse que de me voir moi au milieu de ce dispositif étrange. Thomas il y va, c’est son héroïsme à lui. »

La drague. « Pour créer les situations de l’album, je me suis surtout inspiré des lieux. On peut par exemple échanger des regards avec des filles dans le métro. En général, ça ne débouche sur rien. Une sorte de début d’érotisme qui retombe tout de suite. Même chose, dans une boîte de nuit: qu’est-ce qui peut se passer? Ou au bureau? Tiens, une stagiaire. Tout de suite, on pense au harcèlement. Un lieu, une situation. Je ne suis pas un grand dragueur. Même si j’ai été un peu actif à une époque. On opérait en bande dans la grande tradition beauf. On avait même des plans d’attaque. On draguait beaucoup à trois. Il y avait l’abordeur, l’embrayeur et le finisseur. Moi j’étais mauvais abordeur, mais un embrayeur extraordinaire. Une fois que le contact était établi j’arrivais à embrayer. Puis le finisseur intervenait. Bon, ça marchait une fois sur 1000 mais on se marrait bien. »

Les intellos. « Les intellectuels français ont comme vice indécrottable la généralité. On est formé comme ça à l’école républicaine. La France, c’est la patrie de l’universel. Et l’universel, c’est le général. Une idée n’a de noblesse que si elle est générale. Or je pense que l’art est toujours dans le particulier, dans le concret, le précis. Venant de l’élite littéraire avec un parcours élitiste typique, hypokhâgne, khâgne, agrégation, j’ai été complètement contaminé par les généralités. J’ai mis du temps à m’en guérir. La culture pop anglo-saxonne aura été le contrecoup à cette grande culture universaliste à la française, qui par ailleurs a son charme, sa noblesse et sa grandeur. Pour autant qu’on aille voir aussi ailleurs… En hypokhâgne, je lisais Julien Gracq et j’écoutais les Wampas. C’est intéressant comme stéréo, ça marche assez bien. »

Le corps et l’esprit. « Je réfute le dualisme corps-esprit. Je ne pense pas qu’il y ait tant de différences que ça entre l’extérieur et l’intérieur. L’extérieur dit beaucoup de choses, des choses très profondes. Comme disait Nietzsche, un ami, les Grecs étaient superficiels par profondeur. Une expression que je n’ai jamais comprise mais que je trouve très intéressante. Ça ne me pose pas de problème que les jeux de séduction se jouent sur la surface. Et puis, pourquoi voudrait-on se faire valoir davantage sur son intériorité que sur son extériorité? On n’est pas beaucoup plus responsable de l’une que de l’autre… »

Le sport. « On peut aimer le sport de deux façons, l’une très bête, que j’ai beaucoup pratiquée, c’est la compète, le côté masculin débile. Et puis il y a le vrai amour des corps au travail. Le premier aspect, j’en suis guéri, avec quelques petites rechutes de temps en temps, surtout quand Roger Federer joue… Le sport continue surtout à me passionner comme aventure du corps, au même titre que la danse ou que regarder les gens dans la rue. Il m’intéresse aussi pour des raisons moins affectives, pour son côté symptôme sociétal ou politique. Vous prenez le football, vous comprenez à peu près tout du capitalisme. »

L’ironie. « Il existe une ironie à la française, typique de Saint-Germain-des-Prés. Mais ce n’est pas la mienne, qui est plus caustique, plus politisée. L’ironie, c’est la politesse de l’engagement, parce que l’engagement, c’est vite lourd, ça fait vite donneur de leçon. Si je dis que les patrons sont vraiment obscènes de se plaindre alors que des gens meurent de faim, ça fait donneur de leçon et je n’aime pas ça. L’ironie et l’humour évitent de passer pour un indigné professionnel, personnage agaçant. C’est une façon d’être de gauche sans être ridicule, sans passer pour l’abbé Pierre. »

La politique. « Il y a un foncier pétainiste en France. Ce n’est pas nouveau. Un foncier raciste aussi. Qui a longtemps joué sur l’antisémitisme et qui s’incarne plutôt dans l’arabophobie aujourd’hui. Ce foncier est plus ou moins discret selon les époques. Aujourd’hui, il est en train de ressortir très fort. La gauche est en partie responsable. Elle ne sait que s’indigner, s’effaroucher. Il faudrait commencer par arrêter de prendre les électeurs du FN sur un mode condescendant. Il faut leur parler plus sèchement. Leur dire qu’être raciste, c’est dégueulasse. Et puis s’expliquer. Comme anarchiste, je pense que la gauche républicaine et le FN sont dans les mêmes paradigmes idéologiques. On s’étonne que Manuel Valls parle comme Marine Le Pen. Mais il parle comme un républicain de gauche. Avec les mêmes stigmates autoritaires. »

RENCONTRE Laurent Raphaël

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