Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

MUSE FASHION À L’ANDROGYNIE PROVOCANTE, REINE DISCO ULTRAGLAM, PARTY ANIMAL DÉBRIDÉE… GRACE JONES SORT UNE AUTOBIOGRAPHIE À SON IMAGE: HAUTE EN COULEUR.

Je n’écrirai jamais mes mémoires

DE GRACE JONES ÉDITÉ PAR SÉGUIER. TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR CATHERINE BIROS. 568 PAGES.

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La vérité, dit-on, sort toujours de la bouche des enfants. Elliott, (bientôt) dix ans, à propos de la photo de Grace Jones, en couverture de son autobiographie: « Mais c’est une sorcière! » Qui lui donnerait tort? Certainement pas l’intéressée. En témoigne cette anecdote: alors qu’elle n’est encore qu’une inconnue, la diva refuse de chanter le futur tube disco Boogie Wonderland, se justifiant: « C’est une Fée Clochette scintillante qu’il faut pour cette chanson, et je tiens davantage de la sorcière avec une tache de sang sur la joue. »

Comme tout être surnaturel, Grace Jones n’a pas vraiment d’âge. Wikipédia lui en donne aujourd’hui 68. « Dans la presse et sur Internet, on m’ajoute environ quatre ans », certifie-t-elle cependant. C’est la première coquetterie d’une autobiographie qui se permet de faire l’impasse sur la date même de son commencement: « Je suis née. C’est arrivé un jour, au moment où je m’y attendais le moins.. . » Grace Jones a toujours fait à peu près ce qu’elle voulait, quand elle voulait. Y compris naître.

Retour en grâce

En plus de 500 pages, Je n’écrirai jamais mes mémoires retrace ainsi le parcours d’une artiste complètement atypique. Une icône pop dont les audaces ont marqué, façonné même, la charnière des années 70-80. A la fois muse et caractère bien trempé, superficielle et spirituelle, Grace Jones a frayé avec le cinéma, la mode, le théâtre et évidemment la musique: auteure d’une musique (post-)disco déviante, à la fois étrange et dansante, elle a accumulé les tubes zarbis (Pull up to the Bumper, Slave to the Rhythm, La Vie en rose…). Elle fut également de toutes les fêtes -qu’il s’agisse des orgies people du Studio 54 ou des folles nuits parisiennes du Palace, en passant par l’extase disco du Paradise Garage (à l’époque, quand elle attend son premier enfant, Debbie Harry et Andy Warhol lui organisent une « fête prénatale »).

Beverly Grace Jones a grandi pourtant dans une ambiance religieuse extrêmement rigoriste, en Jamaïque. Ce n’est que quand elle rejoindra ses parents en Amérique, à l’adolescence, qu’elle découvrira la contre-culture (et les drogues qui vont avec). Dès ce moment-là, elle n’aura de cesse de vouloir goûter à tout. Et surtout de ne se laisser définir par rien ni personne. Noire, mais trop fière pour sortir la carte du combat racial. Femme, mais trop individualiste pour se dire féministe -même si cela ne l’empêche pas de rester lucide (« C’est la même rengaine depuis l’homme des cavernes, une histoire de pouvoir. C’est la raison pour laquelle je veux que chaque homme se fasse enculer au moins une fois. ») Chanteuse à la voix grave et au physique androgyne, Grace Jones aura aussi été l’une des premières à troubler les identités sexuelles.

Se confiant au journaliste Paul Morley, Grace Jones publie ainsi une biographie assez jouissive, confirmant, tout en l’adoucissant, son image de diva grande gueule. Souffrant bien de quelques répétitions (et, à l’occasion, de l’un ou l’autre passage trop délié pour ne pas sentir l’interview à peine déroulée), le livre n’en reste pas moins passionnant. « Quoi que les gens puissent penser de moi, je veux qu’ils continuent de le penser. Ça m’est égal qu’ils inventent des trucs sur moi tant que je ne passe pas pour quelqu’un d’ennuyeux ou d’ordinaire », insiste Grace Jones au début de son récit. Elle peut être rassurée.

LAURENT HOEBRECHTS

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