PLUS QU’AU GENRE WESTERNIEN, C’EST AUX RÉCITS D’INITIATION À LA… LEWIS CARROLL QUE LES FRÈRES COEN ONT PENSÉ EN ADAPTANT LE LIVRE DE CHARLES PORTIS.

Certes, ils n’en ont jamais fait état dans la préparation du film. Aucun comédien, aucun technicien, ne se souvient de les avoir entendus l’évoquer. Mais en adaptant le roman de Charles Portis ( lire notre critique page 39), déjà porté à l’écran par Henry Hathaway en 1969, c’est  » à une sorte de récit d’apprentissage, de voyage initiatique, genre Alice In Wonderland , Treasure Island ou The Wizard Of Oz », que les Coen ont pensé en filigrane, comme l’explique Ethan.  » Notre film est un western parce que les personnages évoluent dans les années 1870, dans l’Ouest, se déplacent à cheval et dégainent des six-coups, déclare pour sa part Joel, mais réaliser un film de genre n’a pas été notre motivation principale. » Et Ethan de prolonger:  » Nous sommes partis du roman de Charles Portis, que nous trouvons formidable, et le livre lui-même ne relève pas de la littérature westernienne au sens propre comme par exemple les bouquins de Zane Gray.  »

Le premier True Grit, celui joué par John Wayne, les frères ne l’ont pas revu depuis leur enfance.  » Cela vous paraîtra peut-être cinglé, ou irresponsable, lâche Joel, mais nous n’avons même pas pris en compte le fait qu’il y avait eu une autre adaptation du livre. Je suppose que de toute façon, quand nous faisons un film, tout le monde s’attend à ce que ce soit « différent« …  » Différent, à coup sûr. Mais d’une différence qui peut plaire, comme l’attestent les 10 nominations de True Grit aux Oscars et un triomphe populaire avec des recettes dépassant dès le 13e jour le total de celles de leurs… 7 premiers films!

Mais est-ce consciemment que les Coen ont fait suivre A Serious Man et son fascinant questionnement de la judéité par une excursion dans ce qui est sans nul doute le moins juif de tous les genres cinématographiques?  » On s’attendait à beaucoup entendre cette question, mais vous êtes le premier à nous la poser, réagit Ethan en riant. Même si nous n’y avions pas pensé au départ, il est en effet incontestable que nous avons enchaîné à notre film le plus juif un film absolument presbytérien, autour du personnage le plus protestant de la littérature américaine: une gamine de 14 ans raide et déterminée, engageant une poursuite risquée pour faire arrêter et punir l’assassin de son père. »

Le fait que le personnage central du récit soit  » à la fois enfantin et féminin, ce qui est très rare » fut assurément  » l’un des moteurs de notre intérêt pour le livre« , commente Joel, qui ne souhaite pas reconnaître une tendance des Coen à célébrer des femmes fortes, comme ce fut déjà le cas dans Fargo. « Fargo , c’était avant toute chose l’occasion de donner du travail à Frances (McDormand, interprète du film mais aussi épouse du cinéaste, ndlr) !« , ironise l’aîné des Coen avant de sagement redonner la parole à son frère. Lequel revient plus en détail sur la comparaison avec Alice In Wonderland pour confier  » que le passage de la rivière, l’entrée dans le territoire indien, sont un peu la traversée du miroir de Mattie, l’héroïne de True Grit , à partir de là tout devient plus grand que la vie, et plus étrange, comme la rencontre avec le pendu, celle de l’homme-ours… » Si les Coen retrouvent Jeff Bridges 12 ans après The Big Lebowski, le rôle du marshal Cogburn n’a pas été écrit pour lui.  » Quand nous écrivons un script original, nous aimons penser à tel ou tel acteur en rédigeant, cela nous aide à visualiser les personnages que nous inventons, explique Ethan, mais quand nous adaptons une histoire déjà existante ce n’est jamais le cas. Cela dit, une fois le scénario achevé, on s’est vite mis d’accord sur le fait que Jeff serait un choix évident pour le rôle. Il n’a toutefois pas accepté tout de suite, car il ne se voyait pas marcher dans les traces de John Wayne… » l

u LIRE ÉGALEMENT LA CRITIQUE DU FILM PAGE 30.

L.D.

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