Révélée sur le tard, Anne Consigny croque depuis le cinéma à belles dents, composant une filmographie à l’abri des préjugés. Elle est à l’affiche d’Un ange à la mer, premier long métrage rugueux et bouleversant du cinéaste belge Frédéric Dumont.

C’était en 2005, et sous les traits de Françoise, la timide partenaire de tango de Patrick Chesnais dans J e ne suis pas là pour être aimé, Anne Consigny accédait enfin à la notoriété. Une consécration tardive, pour une comédienne que l’on avait pu voir, quelque 20 ans plus tôt déjà, dans Le Soulier de satin de Manoel de Oliveira, sans que cette composition ne soit cependant suivie d’effets au cinéma. Qu’à cela ne tienne: le théâtre l’accapare l’espace d’une vingtaine d’années, le temps qu’Isabelle Nanty d’abord ( Le Bison), Arnaud Desplechin ensuite ( Léo en jouant « Dans la compagnie des hommes ») ne la rappellent au bon souvenir des cinéphiles.

Depuis, en une application de l’adage voulant que « Tout vient à point à qui sait attendre », Anne Consigny s’est multipliée: Julian Schnabel ( Le Scaphandre et le papillon), Pascal Bonitzer ( Le Grand Alibi), Arnaud Desplechin encore ( Un conte de Noël), Alain Resnais ( Les Herbes folles) comptent parmi les auteurs ayant fait appel à cette comédienne tous terrains, également à l’aise dans la comédie populaire ( La Première Etoile) ou dans les grosses productions façon Largo Winch. Constat qu’elle accueille avec un large sourire, alors qu’on la rencontre au festival de Namur: « L’avantage d’avoir commencé super tard, c’est que j’ai envie de prendre mon pied avec qui je veux. Dès que quelqu’un raconte une histoire qui me plaît, je me fous de savoir si c’est politiquement correct une carrière d’actrice comme ceci, ou comme cela. Je n’ai pas envie, parce que je travaille avec un génie comme Alain Resnais pour qui j’ai un respect immense, de ne pas aller aussi sur le plateau d’un mec comme Jérôme Salle, pour qui j’ai adoré jouer un petit rôle dans Largo Winch , son film hyper commercial. Ce que je me refuse, par contre, c’est de faire un film soit par intérêt pour ma carrière, soit pour mon compte en banque. »

Plus que de grand écart, on parlera d’un éclectisme revendiqué. Ce que traduit éloquemment l’actualité d’une comédienne que l’on peut voir pour l’heure dans Rapt de Lucas Belvaux, où elle incarne l’épouse blessée du capitaine d’industrie kidnappé, mais encore dans John Rabe, une superproduction internationale retraçant un épisode de la guerre sino-japonaise 1937-1945 ( « C’était extraordinaire, c’est un autre métier jouer dans une production de cette ampleur »), avant de la retrouver, dans quelques jours, dans Un ange à la mer, le premier long métrage du cinéaste belge Frédéric Dumont (lire notre critique en page 29).

Profession de foi

A propos de son rôle dans ce dernier, celui d’une mère ne réussissant pas à prendre la mesure de la détresse profonde de son jeune fils à qui son père a révélé un lourd secret, la comédienne confie qu’il lui a longtemps résisté: « Je n’ai jamais eu autant de mal à approcher un personnage, à le comprendre. Comment pouvait-on être cette mère-là, être proche d’un enfant sans voir ce qui lui arrivait? », observe-t-elle. Avant de préciser: « Frédéric Dumont parle de sa propre mère, il n’a pas une réelle objectivité. C’est cela qui rend le rôle difficile à appréhender, parce qu’il ne la condamne pas, mais il ne l’excuse pas non plus, alors que moi, je cherchais à l’excuser. »

Insécurité qui débouche, à l’arrivée, sur une interprétation d’une belle et profonde justesse -« peut-être que ma douleur d’actrice a servi au personnage », avance-t-elle. A quoi s’ajoutera un refus, peu banal, de la psychologie: « C’était un défi. En général, on est un peu les psys de nos personnages, on essaye de les analyser, de les faire parler sur le canapé le plus longtemps possible pour nous rassurer quant à notre capacité à leur donner chair. Là, j’avais moins d’assurance, mais être rassuré met toujours en danger. C’est à partir du moment où l’on croit savoir quelque chose que l’on se casse la gueule… »

Se défier des certitudes, voilà qui résonne comme une profession de foi dans le chef d’Anne Consigny; peut-être en écho à une anecdote survenue sur le plateau de Manoel de Oliveira. « J’avais déjà jouéLe Soulier de satin au théâtre, et j’étais très attachée au personnage, comme s’il était mon bébé. J’avais beaucoup travaillé, j’arrive sur le plateau, et je commence à répéter. Les choses n’avançant pas très vite, je préviens mon partenaire qu’à la répétition suivante, je ne jouerai pas mais me contenterai de dire le texte. Nous répétons, et à la fin, Oliveira vient me dire: « C’est comme cela qu’il faut faire. » En voyant le film, j’ai trouvé qu’en ne jouant pas, j’en faisais déjà des tonnes. Donc, heureusement. »

Rencontre Jean-François Pluijgers

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