AUTOUR DE LA RENCONTRE ENTRE UNE JEUNE MÉDECIN FRANÇAISE ET UNE BÉNÉDICTINE DANS LA RIGUEUR DE L’HIVER POLONAIS DE 1945, ANNE FONTAINE SIGNE UN FILM TENDU VERS LA GRÂCE ET UNE RÉSONANCE INTEMPORELLE

Anne Fontaine a la filmographie itinérante: après l’Australie dans Perfect Mothers et la Normandie dans Gemma Bovery, la voilà aujourd’hui qui pose sa caméra dans les rigueurs de l’hiver polonais de 1945. C’est là, dans un couvent bénédictin, que se déploie l’action des Innocentes, le quinzième long métrage de la cinéaste française et son premier drame historique. Soit l’histoire (inspirée de la réalité) de Mathilde, une jeune interne de la Croix-Rouge française qui va être appelée par une nonne, Maria, au chevet de religieuses sur le point d’accoucher après avoir été violées par des trouffions soviétiques. Et l’une et l’autre d’être amenées à reconsidérer leurs engagements et à braver les interdits face à l’urgence et la violence des faits… « J’ai tout de suite été happée et sidérée par cette situation incroyable, commence la réalisatrice. J’ai senti qu’il y avait là une aventure humaine très importante à essayer d’incarner. »

Les Innocentes s’inscrit dans le fil d’une filmographie qui, de Nettoyage à sec à Perfect Mothers en passant par Nathalie…, n’a cessé d’explorer le motif de la transgression. « L’aventure humaine, pour moi, c’est de glisser de la voie que l’on croit avoir tissée ou avoir devant soi, pour aller vers quelque chose de beaucoup plus obscur, troublant et fort, poursuit Anne Fontaine. Dans la vie aussi, j’ai toujours été intéressée par les personnages qu’une rencontre ou un choc vont amener à découvrir quelque chose d’eux-mêmes. Cela correspond à l’aventure existentielle, tout simplement: sortir du confortable, de ce qu’on a construit ou de ce à quoi l’on croit pour découvrir quelque chose de plus vaste. Cela peut se pratiquer de manière dramatique ou drolatique, mais depuis mes premiers films, je me penche sur des personnages qui dérapent, changent de route, bouleversent leur cheminement. Et dans ce film-là, il y avait un dispositif extrêmement fort tournant autour de la transgression comme désobéissance salutaire. » Transgression embrassant, pour le coup, le non-respect de la règle, mais aussi le fait d’inventer sa vie, avec tout le potentiel romanesque que suppose semblable proposition.

Devant l’objectif d’Anne Fontaine, cet élan induit une double dynamique dramatique, entre héroïsme et introspection, comme en écho aux motivations qui animent les deux protagonistes de l’histoire. « C’est la rencontre de deux mondes que tout oppose au départ, celui rationnel d’une médecin qui croit en l’action, et celui de la contemplation et de la transcendance (…). Et c’est vraiment la rencontre de deux incarnations de la Foi qui vont se rapprocher l’une de l’autre, et faire que c’est la vie, l’idée de l’espérance et d’aller vers la lumière, qui va guider ces femmes. Il s’agit d’une histoire très forte de femmes, sachant que le viol est une arme de guerre utilisée contre les femmes. C’est pareil aujourd’hui. »Ce n’est pas, du reste, la seule dimension actuelle d’un film qui questionne aussi l’intégrisme et ses dérives, trouvant là une résonance toute contemporaine. Un évêque a ainsi parlé de « film thérapeutique pour l’Eglise », lors d’une projection des Innocentes au Vatican.

Beau sans être joli

L’oeuvre tend même à l’intemporalité dès lors que la réalisatrice s’y frotte à la spiritualité, s’inscrivant, en cela, dans la lignée d’Au-delà des collines, de Cristian Mungiu,ou Ida, de Pawel Pawlikowski, pour ne citer que des exemples récents. « J’ai ressenti très vite et très fort que ce sujet résonnait en moi d’une manière personnelle alors que je ne suis ni religieuse, ni médecin, relève Anne Fontaine. Après se pose la question: qu’est-ce que la spiritualité?, Qu’est-ce que le fait d’être habité par quelque chose qui vous transcende? Quand on fait du cinéma, il y a un équivalent, d’une certaine façon, dans la passion et la foi qu’on peut mettre dans une histoire, dans un sujet, de donner vie à des personnages. Je pouvais comprendre, ayant une sorte d’équivalent de foi, non pas chrétienne, parce que je ne suis pas croyante, mais de foi en l’incarnation de personnages dans le vivant.« Quant à traduire ce mystère à l’écran, la cinéaste a pu compter, outre la justesse de son regard, sur le concours de la chef-opératrice Caroline Champetier, qui a sculpté une lumière subtile n’étant pas sans évoquer les toiles d’un Georges de La Tour. « Caroline est très douée pour faire du beau sans être joli« , manière aussi de toucher l’âme…

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers

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