Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LA VILLA EMPAIN ACCUEILLE UNE CINQUANTAINE DE TABLEAUX PÉNÉTRANTS PEINTS PAR SEPT ARTISTES CORÉENS ABSTRAITS. BRILLANT.

Dansaekhwa

VILLA EMPAIN, 67, AVENUE FRANKLIN ROOSEVELT, À 1050 BRUXELLES. JUSQU’AU 24/04.

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C’est l’exposition de la transition pour la Fondation Boghossian. Cela pourrait même paraître un peu effrayant à première vue: Diane Hennebert étant partie explorer d’autres horizons, Louma Salamé (nièce des deux mécènes derrière la nouvelle vie de la Villa Empain et soeur de la journaliste Léa Salamé) lui succède tout en n’étant pas encore réellement opérationnelle au moment de la mise sur pied de cet événement. Il est vrai que l’on ne retrouve pas le foisonnement auquel le lieu nous avait habitués sous la houlette de sa première directrice. Hennebert signait des accrochages pleins, vastes et labyrinthiques, exploitant le moindre recoin de cette demeure qu’on ne se lasse pas d’arpenter. A cet égard, certains visiteurs ne manqueront pas d’être surpris par l’épure de Dansaekhwa, exposition au sous-titre évocateur: Quand le geste devient forme. Ils auraient tort de la dédaigner pour autant car on a trop souvent tendance à oublier que l’attention redouble face au peu, alors qu’elle diminue significativement devant l’abondance… Les commissaires Sam Bardaouil et Till Fellrath peuvent se targuer d’une véritable prouesse curatoriale, doublée d’un lever de rideau sur un pan méconnu de l’histoire de l’art, à savoir l’abstraction coréenne telle qu’elle a été pratiquée par les sept figures de proue du mouvement Dansaekhwa. Longtemps assimilée à la peinture monochrome, cette mouvance qui a culminé entre les années 60 et 80 (c’est du moins ce que tend à prouver l’accrochage) se distingue par un caractère d’abstraction envisagé « comme une interaction physique avec la toile et les matériaux » en lieu et place d’un « processus graduel de représentation abstraite des choses physiques« .

Intemporel et universel

La scénographie signée par les deux curateurs repose sur un ingénieux système d’écho. Le rez-de-chaussée livre un condensé des langages formels en présence, alors que l’étage offre à chacun des artistes une pièce -on a envie de dire une cellule– dans laquelle se déploie toute la richesse de leurs grammaires respectives. Pour une question de place, on ne s’arrêtera que sur deux des sept signatures proposées. Celle qui nous a marqué le plus d’abord: Ha Chong-Hyun. On plébiscite l’artiste non seulement pour son goût pour les matériaux non traditionnels (le chanvre, le plâtre, la toile de jute des sacs d’aide alimentaire, ou le fil de fer barbelé avec lequel il a corseté un remarquable panneau situé au niveau 0), mais aussi pour la radicalité de ses opérations (celle qui consiste à appliquer, par exemple, une couche épaisse de peinture au revers de la toile pour qu’elle affleure de l’autre côté), et la liberté offerte au spectateur de promener son regard sur le tableau et d’y voir ce que personne n’avait vu avant lui -et que personne ne verra plus après, puisqu’il s’agit forcément d’une lecture erronée au regard de « l’interaction physique » évoquée plus haut. Devant Conjunction 74-25, on a ainsi personnellement aperçu un paysage d’hiver griffé de tombes qui n’était pas sans rappeler la désolation que l’on peut trouver chez Anselm Kiefer. L’autre fulgurance de l’exposition est à nos yeux Lee Ufan qui n’a pas son pareil pour incarner ce « geste » évoqué dans le sous-titre de ce florilège coréen abstrait. From Line, sa composition la plus significative, dévoile sur 193,5 x 259cm des traits hypnotiques de peinture bleue (photo). Au-delà de la calligraphie, de l’illusion d’optique et de la perte de densité, c’est le bras de cet artiste, également philosophe, que cette toile incarne lumineusement, à la façon d’un instantané.

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MICHEL VERLINDEN

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