Absentes en absurdie

© LORRAINE O'SULLIVAN

Mixant férocité facétieuse et flottement d’identité, Nicole Flattery livre un premier recueil saillant, dans lequel ses héroïnes vrillent.

Si la littérature irlandaise nous a déjà livré par le passé quantité d’autrices remarquables (Edna O’Brien et Anne Enright ne sont pas les moindres), il est grand temps de saluer une nouvelle génération, à la fois très connectée au gluant spleen contemporain mais aussi férue d’étrange. Après Claire-Louise Bennett ( L’Étang) ou le phénomène Sally Rooney ( Conversations entre amis) -comme elles, Flattery est elle aussi liée à The Stinging Fly (magazine et maison d’édition de Dublin)-, c’est une nouvelle voix délicieusement grinçante que publie aujourd’hui L’Olivier.

Comme nous le laisse deviner ce titre ironique, il ne faudra pas davantage ici chercher de vrai apaisement que dans un film de Roy Andersson. À la cruelle loterie humaine, les jeunes femmes mises sous surveillance par Nicole Flattery ont gagné leur comptant de mouches à avaler et scrutent en permanence ce qui cloche chez elles. Leurs relations sentimentales sont le plus souvent vouées à l’incompréhension mutuelle ( » Ainsi allait leur amour, tristement désynchronisé. Inepte« ) ou faites d’attentes limitées ( » Dans ses fantasmes, ils regardaient Les Ratés de la chirurgie mammaire , émus, au premier degré« ). Qu’elles soient à l’orée de l’âge adulte ou déjà corrodées, le monde du travail les déconcerte et les aliène, comme cette ancienne actrice X reconvertie agente d’accueil dans une station d’essence factice, voire les désespère comme cette narratrice qui développe une bosse à la mort de son père ( » Chaque travail semblait receler un petit élément qui échappait à mes compétences« ).

Absentes en absurdie

Un humour salvateur

Cernées de façon insidieuse par une violence latente dont Flattery, en reine de l’oblique, ne révèle à dessein que certains pans ( » J’avais toujours tendance à me sentir en captivité, comme une prisonnière attendant d’être conduite dans un lieu plus sombre, livré à l’anarchie. Un lieu où j’allais peut-être devoir me défendre« ), certaines ont renoncé à lutter ou à trouver une vraie place. Elles préfèrent parfois s’extraire du monde en tombant la tête la première dans leur plat, en se bouchant les oreilles au coton ou cherchent à ressentir enfin quelque chose auprès d’un ouvrier australien.

C’est sans se départir d’un humour corrosif, désespéré mais salvateur ( » Je parcourais des articles traitant de l’élégance posturale […] Faites comme si vous étiez un être humain« ), que Nicole Flattery redit combien l’émancipation et la quête d’expériences nouvelles des femmes ne vont pas nécessairement de soi. Dans un monde fait par et pour les hommes, elles errent parfois longtemps, lost in translation.

Dans la joie et la bonne humeur

De Nicole Flattery, éditions de l’Olivier, traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik, 304 pages.

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