À tort et à raison

© GAUTHIER HUBERT, J'AI ENCORE QUELQUE CHOSE À DIRE, DIT-IL D'UN AIR INTÉRESSANT, 2020, OIL ON CANVAS, 29,5 X 21 CM

En plus du Botanique, Gauthier Hubert investit la galerie IRèNE Laub et chamboule ce que l’on croyait savoir de son oeuvre. Génial.

À dire vrai, on y allait juste pour le plaisir, sans la moindre intention d’en faire un papier. On se l’était promis à soi-même car en contexte de rentrée, il est important de se réserver des petites joies esthétiques solitaires. Toujours est-il que l’on a très vite été rattrapé par la réalité: impossible de garder cette jouissive masturbation de l’oeil pour soi. On l’aurait fait si Gauthier Hubert (Bruxelles, 1967) s’était contenté de répéter les mêmes choses, d’enfoncer le même clou pictural au mur. C’est mal connaître l’intéressé. Alors qu’au Botanique le peintre s’était plu à nous montrer comment toute son oeuvre tenait ensemble et se répondait, il a décidé, à la galerie Irène Laub, de prouver le contraire en apportant la démonstration, magistrale, que chacune de ses toiles était une sorte de monade, un monde en soi qui n’a besoin de rien ni de personne, si ce n’est du regardeur, pour exister. Il y a du génie dans cette déconstruction des attendus, sachant que ceux-ci constituent les ornières du regard. Il y a peu, l’essayiste Laurent de Sutter rappelait cette évidence:  » La plupart des lecteurs lisent pour pouvoir juger si une phrase est à leur goût -une phrase, une page, un livre, une oeuvre. C’est-à-dire qu’en réalité, ils ne lisent pas. Car lire n’est rien d’autre que l’épreuve par laquelle ce que l’on déchiffre offre la possibilité de faire mentir ce que l’on sait. On ne devrait pas lire pour avoir raison, mais pour avoir tort -et tirer de ce tort une chance de transformation. Lire est l’effort du tort. » Il suffit de remplacer « lire » par « regarder » -« phrase », « page » et « livre » par « oeuvre »- afin d’obtenir un mode d’emploi pour redonner du sens à l’expérience esthétique. Car l’on a plus que jamais besoin que l’art en ait un, de sens.

La preuve par 9

Tempête dans un verre d’eau aligne neuf toiles dont les formats s’étendent de 29,5 x 21 cm à 195 x 167 cm. Passé la porte, on tombe sur Un des nains (Timide) (2020), une aquarelle ambiguë présentant un visage envahi par le rouge. Timide, vraiment? L’oeil dit autre chose, une violence qui pourrait bien être une sorte de généalogie de la timidité, soit une colère refoulée. Juste à côté se tient J’ai encore quelque chose à dire, dit-il d’un air intéressant (2020), portrait à l’huile tellement réussi que l’on n’a qu’une envie, c’est de le fuir. Il y a là l’essence même de ce personnage gluant que tout un chacun a déjà enduré lors d’une soirée ou d’un repas de famille. Derrière la drôlerie de la représentation, l’oeuvre assoit toute la puissance de la peinture en ce qu’elle confirme ceci: aucune nuance de l’expérience d’être vivant parmi les hommes n’est trop ténue pour que le pinceau de Gauthier Hubert n’échoue à en rendre compte. Mais il n’est pas seulement question que de visages. The Rape in Rosewood (2020) se découvre comme un paysage idyllique dont -on goûte ce genre de renversement littéraire avec bonheur- le titre projette un malaise sur la scène. Cela dit, c’est sans doute Portrait d’un berger allemand (2020), une huile sur toile, qui méduse le plus, quoiqu’il y ait également Vincent Van Gogh (…) (2019) et Portrait d’un homme introduisant (…) (2019) qui fascinent de la sorte, en mettant en scène un homme à la chevelure blonde flanqué d’un caniche sur fond génial, au propre comme au figuré, de lumineuse parabole nietzschéenne.

Tempête dans un verre d’eau

Gauthier Hubert, Irène Laub Gallery, 29 rue Van Eyck, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 17/10.

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www.irenelaubgallery.com

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