Intolérable cruauté – Il était une fois dans le Midwest: A Serious Man voit les frères Coen plonger dans leur identité juive tout en évoluant au meilleur de leur humour noir.

De Joel et Ethan Coen. Avec Michael Stuhlbarg, Richard King, Amy Landecker. 1 h 45. Dist: Universal.

Comme souvent chez les frères Coen, on trouve, au c£ur de A Serious Man, un homme qui croit tenir le bon bout. Cet homme, c’est Larry Gopnik (Michael Stuhlbarg, irrésistible), professeur de physique d’une petite ville du Midwest, la quarantaine tranquille et imperturbable, jusqu’au jour où les malheurs commencent à s’abattre méthodiquement sur sa personne, envoyant son petit monde valdinguer avec une sorte de délectation confinant à l’intolérable cruauté. Ce processus de dérèglement systématique trouve à l’écran des expressions diverses: il y a d’abord un examen médical aux résultats potentiellement moins rassurants qu’il n’y paraissait, et puis l’ordre que lui intime sa femme d’aller s’installer au motel dans la foulée de l’annonce de sa liaison avec un proche. Et on en passe, comme cet étudiant tentant de le corrompre, et questionnant, par la même, sa morale.

On serait déstabilisé à moins; Larry, pour sa part, s’en remet au rabbin de la communauté, dont les conseils se révèlent toutefois sibyllins -sauf, bien sûr, à vouloir chercher le salut du côté du Jefferson Airplane (nous sommes en 1967, et les ondes résonnent de Somebody to Love), ou à faire sien le mantra qui ouvrait le film: « Reçoisavec simplicité tout ce qui t’arrive. »

Horizon kafkaïen

S’il s’agit sans aucun doute de leur film le plus intimement personnel à ce jour -Joel et Ethan Coen ont en effet grandi dans une communauté semblable à celle dépeinte dans le film, et trouvent leur pendant en Danny, ado s’apprêtant à passer sa bar-mitsvah sous pétard-, A Serious Man voit aussi les frangins renouer avec un esprit voisin de celui de Barton Fink. A défaut de stars façon George Clooney ou Brad Pitt, l’heure est ici à l’humour le plus noir comme au décalage revendiqué, déployés dans un horizon kafkaïen. S’y ajoute une créativité formelle jamais prise en défaut -le plan du tableau « écrasant » le prof de ses formules mathématiques vaut mieux que de longs discours- et une apparente équanimité d’humeur pour plonger, toujours un peu plus, leur (anti-)héros dans la mouise. C’est dire si A Serious Man s’inscrit dans la continuité d’une filmographie posant un regard oblique sur le monde et la condition humaine, et articulant quelque scénario du pire avec suffisamment d’ironie et de dérision pour que l’on puisse y souscrire avec le sourire.

A l’image du film, les compléments sont hautement réjouissants. On y voit notamment les 2 frères exposer leurs intentions avec cet humour à froid qui les caractérise. On y découvre également le processus ayant permis de recréer, en décors naturels, une entité suburbaine américaine des sixties. On y apprécie, enfin, la minutie des réalisateurs et de leurs collaborateurs, pouvant aller jusqu’à faire porter à leurs acteurs des sous-vêtements d’époque, souci de véracité oblige. l

Jean-François Pluijgers

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