DOMINIK MOLL, LE RÉALISATEUR DE HARRY, UN AMI QUI VOUS VEUT DU BIENORCHESTRE LA RENCONTRE DE FRANÇOIS DAMIENS ET VINCENT MACAIGNE DANS UNE COMÉDIE À L’ÉTRANGETÉ STIMULANTE…

De Harry, un ami qui vous veut du bien, le film qui le révélait en l’an 2000, à Le Moine, qu’il adaptait dix ans plus tard de l’oeuvre de Matthew G. Lewis, le cinéma de Dominik Moll a toujours été frappé du sceau d’une étrangeté le distinguant de l’essentiel de la production française. Orchestrant le dérèglement systématique de la vie trop rangée d’un certain Philippe Mars (François Damiens) sous les coups de boutoir successifs de ses enfants, de sa soeur et, tant qu’à faire, de Jérôme (Vincent Macaigne, lire son interview page 30), un collègue quelque peu perturbé du genre envahissant, Des nouvelles de la planète Mars creuse, aujourd’hui, un même sillon. « J’aime quand l’étrange s’immisce dans le quotidien, observe le cinéaste. Des films réalistes ou naturalistes, il y en a de superbes que j’adore, mais j’apprécie qu’il y ait aussi une dimension mentale, que j’essaie d’obtenir avec des éléments décollant du quotidien. » En quoi il est passé maître, et la première scène du film, qui confronte Mars à un propriétaire de chien indélicat, suffit à en donner le ton, passablement allumé.

Cet individu fort sérieux dans un monde semblant avoir perdu la raison, le réalisateur raconte n’avoir pas dû en chercher l’inspiration bien loin. « Il y a des éléments que je retrouve chez moi, et notamment cette figure d’observateur raisonnable, qui porte sur les choses autour de lui un regard qui peut être critique, tout en étant un peu extérieur. C’est un sujet sur lequel je m’interroge: peut-on, dans le monde d’aujourd’hui, rester un observateur critique raisonnable? Cela suffit-il? Ne faut-il pas aller plus loin et agir? » Question brûlante, qui trouve ici une déclinaison savoureuse: suivant une mécanique de comédie grinçante bien huilée, la rencontre de monsieur Mars avec des individus aux idéaux plus forts que les siens, fussent-ils discutables, aura le don de le faire vaciller avec ses certitudes. On ne s’étonnera guère que cette figure en état de déséquilibre permanent n’aime rien tant que les Marx Brothers, symptôme d’une obsolescence avérée aux yeux de ses enfants, voyant en lui une relique du XXe siècle. En quoi Dominik Moll confesse n’avoir, là encore, aucun mal à se projeter.

Mais si, au même titre qu’un contenu sociopolitique souterrain (où la construction européenne le dispute à l’activisme écologique), la relation parents-enfants donne son arrière-plan au film, ce dernier ne se départit jamais de son ton et de son humour soigneusement décalés. L’on trouverait ainsi volontiers à l’effacé monsieur Mars un air de famille avec les protagonistes de certains films des frères Coen, A Serious Man ou Inside Llewyn Davis, en particulier, cousins américains appréciés du réalisateur. « J’aime l’absurde dans le cinéma des frères Coen. Et le fait qu’au départ de situations pouvant paraître normales, les choses se décalent petit à petit pour que l’on ne sache bientôt plus si l’on est dans un rêve ou dans un cauchemar. Ils arrivent à créer de l’inquiétude avec des éléments très normaux, et cela me plaît beaucoup. »

Le retour de Harry

Difficile, par ailleurs, de ne pas relier Des nouvelles de la planète Mars avec un autre film du réalisateur franco-allemand, Harry, un ami qui vous veut du bien, déjà coécrit avec son compère Gilles Marchand. Un Harry dont Jérôme, l’encombrant collègue venant pourrir consciencieusement l’existence de Philippe Mars, apparaîtrait comme une nouvelle déclinaison. « Il y a de cela, c’est vrai. Même si la manière dont Harry arrivait à faire en sorte que le personnage joué par Laurent Lucas soit mieux dans la vie était assez discutable. Il avait un côté maléfique que n’a pas Jérôme. » Lequel s’en tient à une folie à géométrie variable -douce ou furieuse suivant les moments. L’excellente idée de Moll est d’avoir associé François Damiens et Vincent Macaigne qui, au-delà d’une évidente opposition de styles, libèrent le potentiel du film. « J’avais beaucoup aimé François dans La Famille Wolberg, d’Axelle Ropert. Il avait quelque chose de très émouvant, drôle, singulier, un mélange n’appartenant qu’à lui… Quant à Vincent, le premier film où je l’ai vu, c’est Un monde sans femmes, le moyen métrage de Guillaume Brac. Je ne savais rien du film, ni de lui, et j’ai cru que c’était un type qu’il avait trouvé dans la rue, et qui avait juste un talent naturel, comme ça, tellement il paraît vrai, avec un truc très touchant lui aussi. » L’air de rien, leur partition en miroir emmène cette planète Mars dans une autre galaxie…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin

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