FILM D’UNE PUISSANCE VISUELLE ET D’UNE FORCE NARRATIVE RARES, WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN MET FIN À UN SILENCE INVOLONTAIRE DE 10 ANS.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

Dix ans déjà que l’on était sans nouvelles de Lynne Ramsay, réalisatrice écossaise dont les 2 premiers longs métrages, Ratcatcher et Morvern Callar, avaient produit une impression indélébile. Non, pour autant, que la cinéaste originaire de Glasgow soit restée inactive. Mais voilà, tombée sous le charme de The Lovely Bones, le roman d’Alice Sebold qu’elle avait dévoré avant même sa publication, Ramsay devait consacrer de précieuses années à travailler à son adaptation. Le roman s’étant transformé en best-seller à même d’aiguiser les appétits hollywoodiens, elle allait se voir évincée au profit de Peter Jackson. Une expérience douloureuse, évoquée, lors du dernier festival de Cannes, dans l’épaisseur d’un accent écossais à couper au couteau, mais sans excès d’amertume cependant. Entre-temps, en effet, Ramsay avait découvert We Need to Talk about Kevin, ouvrage de Lionel Shriver, et matière à un troisième long métrage d’une puissance rare -l’un des grands films d’une levée cannoise 2011 qui n’en fut point avare, même s’il devait se voir inexplicablement écarté du palmarès concocté par Robert DeNiro.

Inconfortable, pour le moins, We Need To Talk About Kevin explore la relation qui désunit, plus qu’elle ne les unit, une femme et son fils -relation envisagée en flash-back du point de vue de la mère, après que le garçon a commis l’irréparable. « J’ai lu ce roman bien avant qu’il ne devienne un best-seller, et je l’ai trouvé irrésistible et stupéfiant. Il s’agissait d’un drame consistant, traitant d’un sujet moderne, et j’ai tout de suite pensé qu’il recelait la matière d’un bon film.  » Et d’évoquer son appétence pour les mélodrames classiques, façon Mildred Pierce ou ceux de Douglas Sirk. Comme elle avait l’intention de le faire pour Lovely Bones, Lynne Ramsay ne s’en tient pas à une transposition littérale de l’ouvrage éponyme – « Je parlerais plus d’inspiration que d’adaptation », observe-t-elle, avant d’ajouter: « Le roman évoquait un thriller d’horreur psychologique, j’y voyais plus un puzzle, avec une structure en mosaïque. «  Le film balade en conséquence le spectateur entre un présent dramatique et sanglant, et une histoire familiale contrariée à force de frustrations et de confrontations. Le tout, suivant une narration fragmentée, soutenue par une facture visuelle d’une déconcertante puissance, toutes options arrêtées dès l’écriture par une cinéaste au regard éminemment personnel.

Savoir faire face

En découle un récit à l’articulation suffocante. Formidablement habitée par le jeune Ezra Miller et une magistrale Tilda Swinton – « Je ne pense pas que beaucoup d’autres actrices auraient accepté de se soumettre à un tel traitement, mais Tilda est la partenaire idéale à qui proposer ce type de défi » -, la relation intime haineuse qui s’y noue ouvre à la fois sur une dimension touchant au mythe et sur un réel affolant. Ainsi ne peut-on s’empêcher, s’agissant d’une histoire inscrite dans une petite ville américaine, d’y voir l’écho de divers faits divers tragiques. « J’ai fait quelques recherches à ce propos. Et les enfants qui en arrivent à de telles extrémités sont tous issus de la classe moyenne, observe la réalisatrice. Il ne s’agit pas d’enfants ayant grandi dans des familles déchirées. A titre d’exemple, le tueur de Columbine avait une mère enseignante. Mais Elephant a déjà parlé de cela, et fort bien; ce n’était pas mon intention de le faire à nouveau. Mais c’est clair que nous vivons dans un monde où chacun veut accéder à la notoriété, et où règne la quête de la satisfaction instantanée -ce en quoi on ne peut voir que le fruit de la société. Mon propos était plutôt de m’en tenir à la relation entre la mère et son fils, au sens d’une tragédie grecque, et de cette guerre au c£ur même de la famille.  »

Soit un sujet fort, bien dans la lignée, quelque part, d’une filmographie qui se décline tout en noirceur. « J’aime les sujets porteurs de défis. De nos jours, on tend à être effrayé dès que la matière est un peu sensible, la tendance est à vouloir se sentir bien. Mais pour moi, on ne peut rester dans l’ignorance, il faut aussi savoir faire face aux choses. Voyez ce qui se produit en termes d’environnement: nous sommes occupés à tout fiche en l’air, et on continue à faire comme si de rien n’était. Je trouve cela tellement bizarre. «  Sûr qu’il y a là aussi matière à parler…

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