DE ROY ANDERSSON. AVEC HOLGER ANDERSSON, NILS WESTBLOM, CHARLOTTA LARSSON. 1 H 40. SORTIE: 13/05.

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Cinéaste rare -cinq longs métrages en plus de 40 ans-, le Suédois Roy Andersson régale à intervalles irréguliers les spectateurs de petits bijoux embrassant une humanité désenchantée dans un mélange d’humour absurde et de poésie funèbre. Ainsi, aujourd’hui, de A Pigeon Sat on a Branch Reflecting on Existence (Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence), film clôturant, quatorze ans après Chansons du deuxième étage, et sept ans après Nous, les vivants, sa trilogie sur la condition humaine.

Comme toujours chez Andersson, une scène suffit à identifier son univers: elle se situe dans un musée d’histoire naturelle, et voit un vieil homme au visage fardé de blanc (motif récurrent de l’oeuvre) figé dans la contemplation des vitrines du département ornithologique, parmi lesquelles celle accueillant un pigeon, le tout sous le regard mi-indifférent, mi-exaspéré de son épouse. Ce prélude derrière lui, le cinéaste aligne, suivant son habitude, les longs plans fixes et autant de tableaux en forme de saynètes tragi-comiques -voir les trois rencontres avec la mort qui donnent le la de l’oeuvre- au gré d’une narration distendue. Et de mettre en scène, parmi d’autres, un duo de vendeurs de farces aux allures de Laurel et Hardy déprimés, des héritiers avides, les clients laconiques d’une taverne sinistre, un capitaine de ferry reconverti apprenti-coiffeur, et l’on en passe, qui (dé)composent un univers singulier, où l’on croise encore, en quelque anachronisme assumé, les armées de Charles XII, de retour de la débâcle de la bataille de Poltava.

Affichant des dehors loufoques et s’appuyant sur une esthétique réminiscente de l’art du muet, A Pigeon… survole ainsi un monde en déliquescence, donnant à voir un condensé d’humanité dépressive, peuplée de zombies n’ayant plus même la force de se suicider. Et tentant de se rassurer à grand renfort d’une formule incongrue, ce « Je suis ravi(e) que vous alliez bien » qu’ils dégainent en toute occasion. Souvent fort drôle, en plus d’être laconique -on pense aussi bien à Jacques Tati qu’à Aki Kaurismäki-, l’ensemble compose une saisissante proposition de cinéma, où le rire se mue bientôt en malaise, culminant lors d’une scène où Andersson, convoquant le spectre du colonialisme, réussit une mise en perspective brillante de l’Histoire, point d’orgue stupéfiant de cette oeuvre magistrale. Lion d’Or lors de la dernière Mostra de Venise, un film à voir absolument.

J.F. PL.

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