BIOCHIMISTE LE JOUR, SINGER-SONGWRITER LA NUIT, NIGEL CHAPMAN MARCHE AVEC NAP EYES SUR LES TRACES DE LOU REED, JONATHAN RICHMAN ET DEAN WAREHAM. PORTRAIT AVANT SA VISITE AU BOTA.

Cheveux blonds au carré, lunettes fumées, t-shirt bariolé et pâle de vacancier égaré… Quand on le kidnappe au Texas derrière un Urban Outfiters, Nigel Chapman n’a ni le look d’un chercheur universitaire ni celui du singer-songwriter qui a enregistré l’un de nos derniers disques de chevet. Thought Rock Fish Scale est pourtant bien l’un des trésors cachés de ce début d’année (critique dans Focus du 12/02). Et quand il ne court pas le monde, le gentil binoclard joue les savants fous dans un laboratoire. Nigel est biochimiste. Assistant dans la recherche académique. « Mon professeur bosse surtout sur deux projets. L’un vise à étudier les toiles d’araignées comme matériel bio. Elles sont très légères et résistantes. Elles pourraient être utilisées pour des sweat-shirts par exemple. Mais tu ne peux pas élever des araignées en ferme parce qu’elles sont cannibales. L’idée est donc de trouver une matière synthétique, biotechnologique de substitution. »

Nerd, Nigel Chapman, lui qui travaille sur les cellules de mammifères et la théorie génétique? Pas tout à fait mais sans doute un petit peu quand même. Homme vert aussi sur les bords. « L’écologie est primordiale pour l’avenir de cette planète. Mais la question est pour l’instant de savoir jusqu’à quel point tu peux vivre ta philosophie dans ta vie personnelle et quotidienne. » Chapman a grandi et vit toujours à Halifax, ville côtière et universitaire de 200 000 habitants, à douze heures de voiture à l’est de Montréal. Sa mère était prof d’anglais dans son lycée. Son père, avocat mais aussi surtout passionné d’Histoire. « Il m’a toujours déconseillé le droit. Gamin, je jouais au basket et rêvais de devenir footballeur professionnel. La musique me passionne depuis que j’ai quatorze ans. J’ai commencé la guitare à quinze et je me suis mis à écrire des chansons à seize. De très mauvaises pendant un bon bout de temps. »

Le Canadien sourit, comme quand il se rappelle de son amour adolescent pour Green Day. « Partant de là, je me suis plongé dans ce que je pensais être l’ethos du punk rock. Je me suis mis à écouter intensivement The Clash. J’ai beaucoup aimé les Libertines, produits par Mick Jones et un tas de ces groupes anglais. Up the Bracket était fabuleux. Les disques de reformation sont toujours casse-gueule mais ils ressortiront peut-être un truc excitant dans le futur. »

Posé, timide, bienveillant, Chapman avoue son intérêt pour Joni Mitchell, Bob Marley, Smokey Robinson… « Des trucs plus récents aussi comme Fiona Apple ou Car Wheels on a Gravel Road de Lucinda Williams. » Tout de même sorti en 1998… « Les Pixies ont aussi été très importants pour moi. Et plus tard Bob Dylan, que mon père écoutait quand j’étais gamin mais que je considérais alors comme un truc à papa… Ça a été un peu la même chose avec The Velvet Underground. Tu vis cette espèce d’épiphanie. Tu sais que ce groupe génial existe depuis très longtemps mais à un moment c’est la rencontre. »

Riche en textes, considérations existentielles et philosophiques, Nap Eyes est souvent présenté comme un groupe de rock littéraire. « La critique musicale peut être fainéante comme la recherche scientifique ou le songwriting. Mais les journalistes écrivent sur la musique pour permettre aux gens de la découvrir. Ils aident les lecteurs à faire leurs choix. Si ça aide et pousse à écouter ce que je fais, vas-y, n’hésite pas… J’ai toujours porté beaucoup d’attention aux paroles mais aussi à l’emphase qui peut se dégager de certaines voix. Tous ces chanteurs que tu comprends en une phrase, dès qu’ils ouvrent la bouche. »

En écoutant Thought Rock Fish Scale, on pense à Lou Reed, à Jonathan Richman, au Penthouse de Luna… « Mes auteurs préférés changent tout le temps mais j’aime beaucoup les écrivains allemands comme Hermann Hesse et Thomas Mann… Il m’a profondément influencé d’ailleurs. J’ai aussi pas mal lu Tolstoï et Dostoïevski. Hesse est incroyable quand il s’agit de dépeindre certaines étapes de la vie des gens. Pour te montrer ô combien cette existence peut être pleine de sens. Mais attention, j’aime aussi l’écriture d’un Lead Belly. »

Accès libre

Whine of the Mystic avait été enregistré alcoolisé, de nuit, à Montréal. Deuxième album de Nap Eyes (Chapman se faisait auparavant appeler The Mighty Northumberland), Thought Rock Fish Scale, « plus calme, moins bruyant », a été fabriqué de jour dans le salon et la véranda d’une maison familiale près de Pictou. Petite ville de Nouvelle-Écosse, 4 000 habitants à peine, avec son usine Michelin. La session remonte déjà au printemps 2014… « Le premier, on l’avait pressé nous-mêmes à 200 exemplaires. Alors quand on a terminé le deuxième, on a attendu neuf mois sans trop savoir qu’en faire. Finalement, on l’a envoyé au label canadien You’ve Changed Records. Son boss Steve Lambke était très enthousiaste. Il l’a fait écouter à l’une de ses anciennes artistes, Tamara Lindeman (The Weather Station), qui l’a partagé avec sa nouvelle maison de disques. Intéressé, Paradise of Bachelors (Steve Gunn) a juste décidé, en juillet dernier, de rééditer Whine of the Mystic d’abord. »

Des considérations commerciales (à toute petite échelle) qui n’ont pas l’air d’énormément préoccuper le Canadien. « J’achetais des CD avant mais aujourd’hui je télécharge beaucoup, dit-il tout en faisant la pub de la scène d’Halifax (Old and Weird ou encore Monomyth, dans lequel officient ses bassiste et guitariste). Si seulement Internet pouvait être une gigantesque bibliothèque… Je comprends l’économie mais pour apprendre des choses, que ce soit en musique ou dans tout autre domaine, l’accès libre à l’information est déterminant. » Pour vous en faire une idée (et juste pour vous en faire une idée), Thought Rock Fish Scale est disponible gratuitement et dans son intégralité sur YouTube. Waiting for the man…

NAP EYES, THOUGHT ROCK FISH SCALE, DISTRIBUÉ PAR PARADISE OF BACHELORS.

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LE 22/05 AU GRAND SALON DE CONCERT! (NUITS BOTANIQUE).

RENCONTRE Julien Broquet, À Austin

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