AVEC AMOUR, MICHAEL HANEKE SIGNE UN FILM D’UNE PROFONDE BEAUTÉ AUTOUR D’UN COUPLE DE PERSONNES ÂGÉES CONFRONTÉ À LA MORT. UN DRAME BOULEVERSANT ET UNIVERSEL, MAGNIFIQUEMENT INCARNÉ PAR JEAN-LOUIS TRINTIGNANT ET EMMANUELLE RIVA, PALME D’OR LOGIQUE AU DERNIER FESTIVAL DE CANNES.

Les festivals de Cannes se suivent et se ressemblent pour Michael Haneke, puisque trois ans après Le Ruban blanc, Amour, son dernier opus, y a également conquis la Palme d’or. En l’occurrence, on parlera de chronique d’un triomphe annoncé, le film du réalisateur autrichien ayant fait l’unanimité, au point que l’on y verra la seule ligne du palmarès de Nanni Moretti ne souffrant guère de contestation. Quelques jours plus tôt, alors que la rumeur cannoise le donnait déjà largement favori, c’est d’ailleurs un Haneke particulièrement détendu que l’on avait retrouvé dans un palace à front de Croisette, le réalisateur, réputé austère, se laissant même aller à l’une ou l’autre frivolité -comme parler chaussures de sport dans un aparté dont on vous épargne ici les détails. Quant au frémissement évoqué ci-devant, il l’accueillait avec une réserve prudente: « Les récompenses améliorent les conditions de travail pour votre production suivante. Voilà pourquoi elles sont importantes. »

La revanche des intellectuels?

Interlocuteur souvent captivant, Haneke n’est pas pour autant de ceux qui se livrent facilement, considérant que ses films parlent pour lui, et éludant bien souvent les invitations à analyser son travail. « Je pense que fournir ses commentaires et sa propre opinion est la mort de la profondeur artistique, observe-t-il à ce propos, avant d’appeler Susan Sontag à la rescousse: je ne la reprends pas dans ses termes exacts, mais il y a une magnifique citation où elle dit que l’interprétation est la revanche des intellectuels sur l’art. » Considération dont le ton, jovial, laisse… l’interprétation en suspens. Après tout, le cinéma de Haneke est sans conteste cérébral, ce qui n’exclut d’ailleurs pas que l’émotion puisse y être vive, et profonde. Ainsi de Amour, un film dont le synopsis tient en quatre lignes: « Georges et Anne sont octogénaires, ce sont des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Leur fille, également musicienne, vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’un accident. L’amour qui unit ce couple va être mis à rude épreuve. » Et la matrice d’une £uvre à la résonance autant bouleversante qu’universelle.

Faire face à la souffrance

Cette histoire, Haneke en a eu l’inspiration après « avoir dû faire face à une situation comparable dans ma famille, où une personne que j’aimais profondément est partie d’une mort horrible. C’est ce qui m’a amené à réfléchir à cette situation, et m’a donné envie de faire un film à ce propos. » Pour incarner Georges et Anne (prénoms récurrents de sa filmographie – « j’ai décidé, dans un de mes tout premiers films pour la télévision, de choisir quelques noms courts, simples et facilement mémorisables, et c’était ceux-là, pourquoi en changer? »), le cinéaste a opté pour Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. Le comédien a raconté, dans ses rares interventions médiatiques, qu’il ne serait sorti de sa retraite médiatique pour aucun autre réalisateur que celui de Caché. Un échange de bons procédés, en quelque sorte, ce dernier répliquant, sans qu’on doive l’en prier, qu’il n’aurait pas tourné le film sans l’acteur: « J’ai écrit ce scénario pour Jean-Louis Trintignant », souligne-t-il, catégorique. Quant à Emmanuelle Riva, s’il se souvenait bien sûr de Hiroshima mon amour, qu’elle avait tourné en 1959 pour Alain Resnais, Michael Haneke l’avait perdue de vue depuis. « Nous avons passé des auditions avec des actrices de cet âge pour le rôle de Anna, et dès le début, elle était ma favorite. Les premiers tests ont révélé qu’elle était la meilleure pour le rôle. Pas seulement parce qu’il s’agit d’une très bonne actrice, mais parce que avec Jean-Louis, ils forment un couple charmant, dont on peut croire facilement qu’ils aient été ensemble pendant une si longue période. » De fait, il y a, entre eux, les gestes et les attentions d’une vie, un sentiment d’intimité profonde venu donner à l’histoire une vibration plus intense encore.

Ce couple, Haneke en a fait des professeurs de piano à la retraite. Le rapprochement avec La pianiste est bien sûr tentant à moult égards, le réalisateur y voit le fruit de son background social: « Mes parents étaient tous deux acteurs, mon beau-père était chef d’orchestre et compositeur, et la musique signifiait beaucoup pour moi, et continue d’ailleurs à le faire. Voilà pourquoi elle est aussi présente dans mes films, c’est aussi simple que cela. » Ainsi, encore, du milieu -à l’évidence aisé- dans lequel évoluent Georges et Anna: « J’ai situé cette histoire dans la classe moyenne aisée, parce que c’est celle dont je proviens moi-même et que je connais le mieux. Je pense que l’on devrait toujours écrire sur quelque chose que l’on connaît. Mais il y avait une autre raison également: j’aurais pu situer Amour dans une classe moins favorisée, la classe ouvrière par exemple, mais il y aurait alors eu le risque que l’on voie ce film comme un drame social. Le public aurait pu penser que s’ils avaient eu les moyens de se payer une infirmière pour s’occuper d’elle, la situation n’aurait pas été aussi difficile. Ou que s’il avait dû aller à l’usine tous les jours, elle n’aurait pas pu rester à la maison, et aurait dû être hospitalisée. Tout cela aurait contribué à détourner l’attention du vrai problème, à savoir: comment fait-on face à la souffrance et à la mort d’un être aimé? »

Question délicate, que le réalisateur traite sur un mode rigoureusement épuré. Si des enjeux de société divers s’exprimaient à travers sa caméra dans ses précédents Ruban blanc ou Funny Games, Haneke s’en tient cette fois plus exclusivement à ce n£ud narratif -un couple, confronté au déclin, avec son caractère inexorable. « C’est vrai qu’il semble y avoir plus de questions sociales dans mes autres films, mais on est toujours tributaire du sujet que l’on traite. Ici, les intentions sont plus intimistes, je parle de l’histoire personnelle de ces gens. Et j’essaye de simplifier, de la rendre aussi directe que possible. C’est une histoire à laquelle nous pouvons tous nous identifier, dès lors qu’il s’agit de thèmes et de questions auxquels nous avons tous été confrontés dans notre existence. »

Lové autour de sentiments et d’interrogations complexes, Amour tend en effet à une résonance intime comme universelle. C’est là aussi la beauté d’un film qui, s’il refuse d’envoyer un message – « ce serait contre-productif par rapport au type de cinéma que je fais »-, ne s’en adresse pas moins à chaque spectateur, ouvrant bien grand le champ de réflexion dans lequel s’engouffrer, en même temps que l’on s’y laisse étreindre par l’émotion.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS À CANNES

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