À l’ombre de Dutroux

Quitter l’enfance n’est pas simple, encore moins dans les années 90 lorsque Dutroux sévissait. les deux autrices se souviennent. entre poésie et angoisse.

L’une a grandit à Staffelfelden, près de Mulhouse, mais est venue s’installer à Bruxelles dès 1993 avec ses parents. L’autre y était déjà. Les deux, Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe, se connaîtront bien des années plus tard pendant leurs études artistiques à Saint-Luc, partageant un même goût du dessin, et une même enfance, marquée comme toutes par les difficultés de se mettre à grandir sans vraiment le vouloir ni le comprendre, mais aussi, pour tous ceux qui ont eu dix ans pendant ces années-là, par un contexte particulier et atroce: en 1995 et 1996, la Belgique découvre, effarée, qu’un individu, avec la complicité de sa femme, d’un toxicomane et, qui sait, d’autres individus, enlève des enfants, les enferme, les viole et les laisse mourir. La Belgique de ces années-là se résume aux noms de Julie, de Mélissa, d’Ann, de Eefje, et bien sûr de Marc Dutroux, croquemitaine des temps modernes qui se cachait parmi nous. Pas simple de grandir à ce moment-là, et encore moins d’en tirer un roman graphique aussi alternatif qu’anxiogène, capable de nous replonger, sans jamais le nommer, à l’ombre de ce monstre-là.

À l'ombre de Dutroux

De l’insouciance à l’angoisse

Dans un noir et blanc entièrement réalisé au crayon, et des dessins volontairement naïfs, Valentine et Mathilde se souviennent. D’abord des temps insouciants, quand l’une pouvait s’inventer un monde à partir d’une poupée ou d’un insecte, et que l’autre n’avait que l’amitié en tête, lui faisant courir les rues et, parfois, discuter avec des inconnus. Mais le monde, leur monde, petit à petit, se resserre et s’angoisse, sans explication franche. Ce sont des parents qui murmurent que  » des enfants disparaissent« , d’autres qui disent que  » deux gamines dans la rue, c’est comme jeter deux saucisses aux chiens« ; d’autres encore, et parfois les mêmes, qui installent des barrières autour du jardin, qui refusent désormais de ne pas savoir où sont leurs filles, qui ont peur pour elles et qui remplacent peu à peu dans l’esprit de leurs enfants l’insouciance par la méfiance, et l’aventure par l’angoisse. Une ambiance délétère qui marquera toute une génération, et qui explique sans doute en partie le succès de ce roman graphique difficile, réédité aujourd’hui par le suisse Atrabile dans une nouvelle (jolie) maquette et vendu à un prix plus abordable que sa première édition en 2016: si tout le monde n’adhère pas facilement à ce genre de BD indé, qui prend beaucoup de liberté narrative et graphique, tous ceux qui sont nés en Belgique ou dans ses alentours à l’aube des années 90 y retrouveront immédiatement leur jeunesse abîmée.

Pendant que le loup n’y est pas

de Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe, éditions Atrabile, 176 pages.

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