Critique | Livres

Ramón Gómez de la Serna, génie majuscule

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Enfin traduite en français, l’autobiographie de Ramón Gómez de La Serna, ressuscite le génie et la douce folie du créateur légendaire des greguerías.

Ramón Gómez de la Serna. Le nom sonne un rien pompeux. Appelons-le simplement Ramón -ou RAMÓN, tout en majuscules, comme il s’entêtait à signer un peu partout. Dès les premières pages d’Automoribundía, tardive traduction française de son imposante autobiographie initialement publiée en 1948 depuis son exil argentin, on devine, si on ne le savait pas déjà, que derrière sa mise de dandy se cache peut-être bien le trublion majeur des lettres espagnoles. L’auteur Valery Larbaud, son découvreur en France, le comparait à Joyce ou Proust. On ne prendra pas parti, mais il est vrai que les phrases baroques et enjouées du bon Ramón, sa propension à trouver le beau en toute chose et ses moeurs farfelues réjouissent à chaque page.

Affirmons-le d’emblée: le livre est superbe, empli de crobards ou de photos de Ramón « écrivant au Café Pombo » ou multiplié par cinq pour la sortie simultanée de cinq ouvrages. « Mon bras droit est plus long que le gauche à force d’écrire », répète-t-il. On le croit sur parole, et Automoribundía se veut le résumé/best of de son oeuvre foisonnante (il est l’auteur de plus d’une centaine d’ouvrages).

Il commence par le commencement: ce n’est pas donné à tout le monde, mais Ramón a assisté à sa propre naissance! S’ensuit la description de son enfance madrilène où, garçon « barbu en redingote« , il déambule, curieux de tout.

Le roi de l’aphorisme

Mais on s’impatiente de lire les pages sur le Madrid bohème des années 1920-30. Celui de la « Crypte sacrée du Pombo », sa tertulia, son groupe littéraire qui se réunira (à son initiative) dans le -depuis légendaire- café du même nom. Bref, sur cette époque glorieuse où Ramón fut le héros (et le héraut) flamboyant de la littérature espagnole. On ne sera pas déçu, et voici le temps de ses conférences provocantes et burlesques -lors de celle, légendaire, sur les réverbères, un aveugle jurera y avoir brièvement recouvré la vue…

Le ramonisme traversera les frontières, et c’est à dos d’éléphant qu’il ponctuera triomphalement une visite à Paris. Tel une sorte d’Arthur Cravan ou de Jacques Vaché, autres mavericks avant-gardistes, il raconte, fabule peut-être (sûrement), mais « si quelqu’un doute de la véracité et de l’exactitude de ce que je dis, qu’il aille se faire cuire un oeuf! »

Il conte aussi en détail la création des mémorables greguerías, ces aphorismes tels que « L’aboiement des chiens nous mord », dont il est l’inventeur en chef. En 1936, il fuira la guerre civile pour Buenos Aires. C’est là qu’il écrira Automoribundía, son chef-d’oeuvre. Mais quid de cette difficilement traduisible « auto-moribonderie « ? Ramón le scandait depuis toujours: « Allez avec votre mort. C’est la compagnie prescrite ». Ramón Gómez de la Serna a slalomé entre les guerres, les courants et mouvements artistico-littéraires; un peu surréaliste, un brin Dada… Il est, à jamais et pour toujours, le grand RAMÓN.

Automoribundía (1888-1948)

De Ramón Gómez de La Serna, éditions La Table Ronde/Quai Voltaire, traduit de l’espagnol par Catherine Vasseur et Delphine Valentin, 1 040 pages. ****(*)

Ramón Gómez de la Serna, génie majuscule

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