Playa philo (7/8): Prendre une leçon de surf avec Deleuze

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Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, petits problèmes et grandes solutions: comment les vieux barbons de la philosophie viennent au secours du vacancier perdu.

C’était un de ces scoops microscopiques comme les aime tant le monde de la philosophie. Au milieu des années 70, Gilles Deleuze, grande figure de la pensée révolutionnaire, émancipatrice, nouvelle, confessait éprouver un grand intérêt pour le surf. L’auteur de L’anti-OEdipe ou de Différence et répétition y trouvait quelque chose qui rappelait sa propre philosophie: une manière de privilégier la surface sur le fond -mais aussi une sorte de mouvement créé par le milieu même dans lequel on évolue.

Avec le surf, il ne s’agit pas seulement de sport. Il s’agit de faire l’expérience de ce que le monde est avant tout un espace qui porte celui qui y évolue -et qui n’y évolue que pour autant qu’il développe une virtuosité dans son rapport à cette capacité à porter. Au contraire de ce sur quoi une grande partie de la tradition philosophique avait insisté (et pas mal d’éditorialistes encore aujourd’hui), la profondeur n’est pas le signe d’une réussite, mais celle d’un échec. Celui qui se perd dans les profondeurs est en train de couler. Point.

C’est à la surface des choses que se passe ce qui compte, à fleur de vague, au milieu de l’écume, dans la course-poursuite qui oppose le surfeur à un rouleau. Cela signifie que surfer est la bonne manière d’habiter le monde, et non pas une forme un peu veule ou un peu paresseuse, qui s’opposerait à une autre, plus authentique. Le surfeur virtuose est celui qui, parce qu’il reste à la juste distance du monde, dans un juste rapport avec sa surface, met le monde lui-même à contribution pour le faire avancer -et même plus vite qu’il ne le pourrait par ses propres moyens.

Pour le surfeur, le monde est un accélérateur. Ou plutôt: il est un accélérateur lorsqu’il est lui-même en mouvement -parce qu’en cas de calme plat, même le planchiste le plus expérimenté finit par couler. Et puis, avouons-le: ça donne des photos de vacances plutôt cools.

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